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2. La vocation de l’Homme à la liberté

 

D’un bout à l’autre de la Bible, nous découvrons que l’Homme est appelé à être libre. Qu’il s’agisse du principe de responsabilité qui s’exprime au sujet du monde en Gn 1,22 ou qui s’exprime au sujet des personnes en Gn 4,10 ; qu’il s’agisse de l’effort d’arrachement à la servitude voulu par Dieu et rendu possible par Moïse selon le livre de l’Exode ; qu’il s’agisse de la mise en garde du prophète Samuel au peuple hébreu qui veut un roi comme les autres et qui redeviendra alors esclave (1 S 8,17) ; qu’il s’agisse de Jésus qui libère la parole, les initiatives, la possibilité de profiter pleinement des bienfaits de la vie ; qu’il s’agisse de Pâques qui dit qu’il n’est pas dans l’espérance de Dieu que la vie soit bouchée ; qu’il s’agisse de l’apôtre Paul qui développe l’usage du mot « liberté » et qui confirme aux Galates qu’ils ont été appelés à la liberté (Ga 5,13) ; la Bible est un vibrant appel à la liberté.

 Le pouvoir qu’on exerce sur soi-même

Commençons par dire ce qu’est la liberté. De manière négative, elle n’est pas esclavage qui est privation de ses mouvements, de ses pensées, de ses paroles, de ses sens, de ses choix. Nous ne sommes pas libres si nous sommes interdits de sortir de chez nous, si nous n’avons pas l’autorisation d’exprimer nos convictions, si nous n’avons pas le droit d’exercer un métier pour lequel nous sommes qualifiés au prétexte de notre religion, de nos opinions politiques, de la couleur de notre peau, de notre nationalité.

De manière positive, la liberté est la possibilité qu’une personne a de mener sa vie en tenant compte du contexte et en exerçant sa propre faculté de jugement. Il serait absurde de considérer, par exemple, qu’un être humain est vraiment libre s’il peut voler dans les airs, ou qu’il n’est libre qu’à la condition de pouvoir soumettre son entourage à sa propre volonté. La liberté n’est ni l’absence de limites, ni l’absence de contraintes. La liberté est le pouvoir qu’on exerce sur soi-même. Ainsi une personne sera jugée libre non parce qu’elle a réussi à échapper à la mort, mais parce qu’elle est parvenue à vivre avant de mourir.

Dans nos sociétés occidentales, de nombreuses lois sont destinées à préserver les libertés dites fondamentales : interdiction de l’emprisonnement d’une personne qui n’est pas en mesure d’exécuter une obligation contractuelle, liberté de circulation, liberté d’enseignement, droit de vote et d’être élu… à quoi s’ajoute la liberté de culte et la manifestation des opinions religieuses pourvu que cela ne trouble par l’ordre public. Cela rejoint le principe bien connu selon lequel « ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui ». Cela indique que la limite de la liberté est le respect de la liberté. Il n’y a pas une liberté qui vaudrait pour quelques-uns seulement. Nous sommes tous appelés à la liberté.

 Le centre de gravité du christianisme

Pourquoi faire de la liberté la première des affirmations du protestantisme libéral ? Parce que les protestants libéraux considèrent que la liberté est le centre de gravité de leur foi, le critère à partir duquel il est possible d’examiner une proposition théologique et d’en mesurer la pertinence. La liberté ne saurait être le seul critère d’appréciation, mais c’est le critère qui ne peut être mis sous le boisseau. Une organisation d’Église bride la liberté ? Elle est contraire à l’esprit de la foi qui anime les auteurs bibliques. Une formulation de catéchisme doit être crue sans qu’il soit possible d’en discuter et, le cas échéant, de ne pas la retenir comme fondamentalement chrétienne ? Elle doit être oubliée.

Nous nous demandons, parfois, s’il serait possible d’évaluer une religion. Albert Schweitzer proposait d’observer si une religion faisait du bien ou du mal, ce qui revenait à analyser les attitudes envers le monde que préconisent ou favorisent les diverses religions. Mais quels seraient les critères pour effectuer cette évaluation ? La liberté est le critère que proposent les théologiens libéraux car c’est à partir de la liberté qu’il est possible de voir ce qu’une religion est en mesure d’accomplir. C’est ce critère qui fait du libéralisme l’exact contraire de la loi du plus fort. Écraser untel, dévorer une institution, c’est réduire le champ des possibles, c’est dégrader la liberté. Le critère de la liberté individuelle favorise le respect de chacun, y compris le plus faible, parce qu’il contribuera par son action, même modeste, à libérer du temps et de l’énergie à ceux qui possèdent d’autres aptitudes. C’est ce qu’explique David Ricardo (1772-1823), qui est réputé pour son étude sur les avantages comparés. Détruire les petits fournisseurs, supprimer les emplois peu qualifiés, c’est faire reporter les tâches qu’ils auraient pu accomplir sur les personnes qui ne sont plus en mesure, alors, d’effectuer ce pour quoi elles sont le plus compétentes. Le principe de liberté nous préserve de ce travers. Le libéralisme est une confiance faite en l’Homme capable de certains accomplissements, capable d’exercer son esprit critique pour donner à l’histoire humaine les impulsions nécessaires pour rendre le quotidien plus vivable et pour aller vers plus de justice et plus de joie.

 L’altérité

Entendons-nous bien, la liberté ne consiste pas à flatter les penchants naturels de chacun ni à encourager toutes les idées qui nous passent par la tête. Ce que nous pensons ou faisons ne sert pas forcément notre liberté ni celle des autres. Nous pouvons avoir des pensées morbides qui feront de notre vie quotidienne une peau de chagrin. La liberté a besoin d’altérité, elle a besoin d’autres que moi-même. La liberté n’est pas un assentiment à ce que je projette, mais un assentiment à mes capacités à épanouir mon existence selon la perspective de l’Évangile, ce qui permettra d’élargir l’espace de ma tente, ce qui donnera plus d’ampleur à ce que je vis. Cela signifie que la liberté a parfois besoin de contraintes qui, à première vue, nous sembleraient contraires à la liberté. C’est l’expérience que fit Paul et dont il rendit compte dans sa seconde lettre aux Corinthiens (2 Co 12). La liberté a besoin de se frotter à l’altérité, à la nouveauté, à l’étrangeté, sans quoi ma vie sera condamnée à n’être que ce qu’elle est déjà. Or la vie en Dieu consiste à faire toutes choses nouvelles, plutôt qu’à s’enfermer dans un cycle de répétition interminable (Ap 21,5). La vie en Dieu consiste à augmenter les degrés de liberté, les capacités de créativité. Cela exige de l’altérité qui nous préserve du conformisme, du même, qui stérilise notre personnalité en l’assimilant au reste du monde.

Ce qui sauve le monde, ce n’est pas l’absence de différence, ni la fin des tensions. Ce qui sauve le monde est, justement, la singularité, ce qui n’appartient qu’à nous, ce que personne d’autre ne pourra offrir à l’histoire. Cette singularité est appelée à prendre toute sa place dans le monde des idées, dans le registre des pratiques, dans le domaine des organisations. Les communautés humaines qui s’en sortent le mieux sont celles qui favorisent la liberté individuelle, qui ne brident pas les expériences, qui n’appliquent pas un principe de précaution qui stérilise la recherche, mais qui font preuve de responsabilité. Les communautés humaines qui s’en sortent le mieux sont celles qui favorisent la liberté d’expression et, donc, le retour d’expérience, l’usage de la critique pour améliorer tout ce qui peut l’être. L’Homme est appelé à la liberté pour sa satisfaction personnelle et pour une plus grande qualité de la vie commune.

 

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À propos James Woody

Pasteur de l'Église protestante unie de France à Montpellier et président d'Évangile et liberté, l'Association protestante libérale.

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