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Une famille à raconter

 

Faire famille : pour un couple d’hommes comme le nôtre, et malgré son relatif jeune âge, cette perspective n’est pas toujours allée de soi. Faire famille ou vivre son orientation affective ? Il semblait y avoir une incompatibilité. Et c’est seulement avec l’adoption en France de la loi sur le mariage pour tous et aussi peut-être grâce à la force de notre amour naissant à la même époque, que l’incompatible nous est devenu possible. Très tôt dans notre relation, nous avons envisagé d’avoir des enfants. Il y avait au départ, nous l’assumons, un désir d’enfant. Nous entendons souvent cette expression de manière péjorative et elle semble indiquer, selon ceux et celles qui l’emploient, que les couples homosexuels auraient une forme de désir irresponsable de parentalité, ce qui est assez infantilisant. Plus surprenant pour nous, cette expression pose la question du fait qu’il faudrait ne pas avoir de désir d’enfant pour être de bons parents.

Faire famille est donc arrivé dans nos vies respectives et dans notre couple comme un bel inattendu. Et nous ne pouvons ici nous empêcher de penser à Saraï et Abram qui attendent désespérément la venue de cet enfant de la promesse, qui ne vient pas et qui semble improbable dans leur situation : Saraï en rit de ce rire ironique (qui était un peu le nôtre avant que nous envisagions de devenir parents) qui devient rire de joie qu’elle transmettra en nom à son fils (Isaac signifiant aussi « il rira »).

La question était alors : comment ? Sur le plan biologique, notre couple est d’une certaine manière infertile. En tout cas ensemble, puisque si l’un peut donner de sa personne pour avoir un enfant, l’autre sera toujours exclu du lien biologique. Nous nous sommes donc posé la question de savoir si ce lien, si cher dans les couples « traditionnels », avait une importance pour nous. Nous fallait-il pouvoir dire : la chair de ma chair, le sang de mon sang ? Ici, nous avons pensé à Joseph, père adoptif de Jésus, qui accepte cette parentalité, et toute sa responsabilité de père, malgré l’absence de lien de sang et de chair (nous dirions aujourd’hui assez prosaïquement, de lien biologique) avec son enfant. Faut-il un prolongement naturel de soi pour aimer ? Notre expérience, et notre instinct, nous ont amenés à dire que si cela pouvait être important, ce n’était pas l’essentiel de l’amour. Pour différentes raisons, qui nous sont propres, nous n’avons donc pas privilégié ce lien et nous nous sommes orientés vers une autre possibilité, celle d’accueillir un enfant dans notre couple, dans notre famille. Décision importante, car cela voulait dire accepter la venue d’un être, si petit soit-il ou elle, avec sa propre histoire, son propre nom aussi. L’attribut premier des parents, le pouvoir presque inconditionnel des couples hétérosexuels qui décident d’avoir des enfants, c’est de pouvoir les nommer, souvent avant leur naissance. Et ce premier baptême s’accompagne parfois de choix très personnels qui permettent d’inscrire l’enfant dans une lignée : il ou elle aura le nom d’un oncle, d’une grand-mère… Avec notre choix, cela devenait impossible. Il ou elle aurait un prénom, et aussi un nom. L’image de Zacharie, le père de Jean le Baptiste nous est venue tout de suite à l’esprit. Ce futur père qui souhaite appeler son fils selon la tradition familiale et qui devient muet tant qu’il n’arrivera pas à prononcer le prénom voulu par Dieu a parfaitement illustré l’attente que nous avons vécue avant d’accueillir notre enfant. Nous n’en connaissions pas le sexe, nous ne pouvions même pas l’appeler d’un prénom qui nous était cher, et lorsqu’il est arrivé, nous avons dû l’accueillir, tel qu’il était, sans pouvoir le nommer comme nous le voulions.

Nous l’avons tout de suite aimé, de cet amour inconditionnel qui unit de jeunes parents à leur enfant. Bien sûr, l’amour peut naître d’un regard, mais pour durer dans le temps, il doit se construire : il faut s’apprivoiser, reconnaître et accepter l’autre dans ce qu’il ou elle a de similaire à nous et de différent aussi.

Faire famille : quelle qu’elle soit, elle est toujours une longue, et espérons-le, une belle aventure. Nous en sommes au début, mais déjà reconnaissants.

Baptiste et François Thollon-Choquet

 

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À propos François Thollon-Choquet

est auxiliaire pastoral à l’Église du Musée, à Bruxelles, et coordinateur du projet « Relief » de l’Église protestante Unie de Belgique. Engagé dans le Carrefour des Chrétiens Inclusifs, il est attaché à la théologie de l’hospitalité, à la spiritualité queer et à l’engagement quaker.

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