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Le désir dissident

 

Si les progrès de nos sociétés sur la question des droits des minorités sexuelles sont incontestables, l’homosexualité – première de celles-ci – demeure une dissidence. Elle reste écart à la norme hétérosexuelle, réduit à un obscur dysfonctionnement socio-culturel, voire parfois relégué, par les garants les plus extrémistes de cette norme, aux extrémités immondes de la maladie mentale. Cette dernière position, sans être négligeable, est aujourd’hui en recul mais le reste de l’éventail de ces attitudes demeure relativement commun, se conjuguant pour beaucoup avec une volonté de tolérance sans laquelle les récentes avancées auraient été impossibles.

Cependant, tolérer revient à accepter tout en reconnaissant l’écart à la norme, l’anomalie, car nos sociétés demeurent régies par une autorité formatée par la « normalité » hétérosexuelle. Or les homosexuels n’aspirent pas à être tolérés mais à être égaux, en droits et en dignité, refusant une autorité sociétale qui peut les accepter tout en les écartant : ainsi de l’idée d’une union civile substituée lexicalement au mariage, soit des droits similaires mais sous un vocable entérinant l’irrégularité du comportement toléré.

Rien ne trouble davantage ce système de relégation que le désir de parentalité des homosexuels. Si le désir homosexuel est par lui-même dissidence, celle-ci n’est jamais aussi forte que dans le désir d’enfant. Aspiration pleinement humaine, sans doute autant liée à notre nature animale qu’à notre culture sociale. Désir trop souvent caricaturé par les opposants aux droits Lesbien Gay Bi Trans (LGBT) en « droit à l’enfant » que seule une minorité militante réclamerait illégitimement. Faction supposée qu’ils présentent même comme minoritaire chez les homosexuels eux-mêmes, comme si ceux qui les rejettent étaient les plus à même de les connaître, eux qui ne cherchent même pas à les comprendre.

Ce refus de la compréhension d’autrui est l’essence cachée de cette sempiternelle accusation de réclamer un « droit à l’enfant », imposture forgée et instrumentalisée par ceux qui ne peuvent ni accepter ni concevoir le désir de parentalité d’homosexuels ne demandant en réalité nul autre droit que celui d’être pleinement reconnus dans la dignité et la légitimité de ce désir.

Le reconnaître reviendrait à détruire le dernier – et principal – motif de domination qui demeure à l’hétérosexualité : le monopole de la reproduction biologique de la race. La parentalité homosexuelle brise la ligne de partage traditionnelle et intègre définitivement l’homosexualité comme une modalité normale de la sexualité humaine et non comme un écart à la norme sexuelle de l’humanité. Voilà l’égalité fondée.

Plus encore, ce désir de parentalité interroge en profondeur notre identité humaine en posant la question de notre perpétuation. Ne s’agirait-il que d’un enjeu génétique ? Le but ultime de notre espèce serait-il de transmettre une couleur de cheveux ou de peau, une certaine morphologie du visage ou une certaine modulation de la voix ? Ou s’agirait-il davantage, en réalité, de perpétuer une culture et des principes nous permettant de vivre fraternellement, perpétuant une civilisation davantage qu’une race ?

Parmi les premiers mots de la Bible, on trouve ceux-ci : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. » (Gn, 1,27) Si l’image de Dieu qu’il y a à chercher en l’Homme est une image physique et biologique, l’immense diversité des images de l’Homme dans ce domaine invite à se poser bien des questions sur l’unité du divin. Et si cette image n’était pas de celles que peut saisir la vue ? L’image de Dieu sur la base de laquelle nous sommes forgés ne se voit pas par les yeux mais par le cœur et ce ne sont pas des gènes – qui n’ont cessé d’évoluer et de muter – qu’il nous faut perpétuer mais l’amour fraternel, fondement de l’unité indispensable à notre progrès.

Dans cette grande œuvre, la parentalité homosexuelle est-elle moins légitime que la parentalité hétérosexuelle ? À ne penser la reproduction que sur le seul plan biologique, ne réduit-on pas l’humain à une suite génétique abstraite, une expérience chimique ? Reconnaître la légitimité et la dignité du désir de parentalité des homosexuels est la base de tout débat paisible et constructif sur l’AMP et la GPA. Et seul un débat prenant en compte sans tabou toute la dimension profondément humaine de cette question peut mener à l’intégration réelle des homosexuels à la société humaine, égaux at last !

Ceux qui affirment qu’une minorité ne doit pas imposer sa loi s’égarent dans les méandres de l’intolérance et de la haine en refusant l’égalité à ce qui s’écarte d’une norme qui n’est fondée sur rien d’autre que la domination qu’elle permet d’exercer. Et ceux qui, parmi les protestants, relaient cet argumentaire devraient se souvenir que c’est exactement la même logique qui justifia durant des décennies l’oppression et le rejet d’une minorité qui est la leur.

Quant à ceux, enfin, qui pensent que l’homosexualité brise le plan divin, que leur dire si ce n’est que Dieu n’est ni chimiste ni généticien. En prêchant le rejet, et parfois la haine, ce sont les homophobes, et eux seuls, qui brisent l’image de Dieu placée en chacun de nous.

À lire les articles de: Marianne Carbonnier-Burkard « Le Comité d’éthique et l’assistance médicale à la procréation »

Frédéric Rognon « Assistance médicale à la procréation : enjeux, promesses et dérives »

Abigaïl Bassac et Constance Luzzati « Quelques questions éthiques liées à l’assistance médicale à la procréation »

James Woody « Les droits de l’enfant »

Baptiste et François Thollon-Choquet « Une famille à raconter »

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À propos Maxime Michelet

est étudiant, diplômé d’un master d’Histoire contemporaine à la Sorbonne ; issu d’une famille de tradition athée, il a rejoint le protestantisme libéral à l’âge adulte à travers le temple de l’Oratoire du Louvre de Paris.

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