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3. La confession du péché

 

Abigaïl BassacCertains théologiens libéraux estiment que la confession du péché n’a pas sa place dans un culte hebdomadaire car confesser notre péché n’aurait pas de sens si Dieu nous conserve sa grâce quoi qu’il advienne. Je ne partage pas cette idée. La confession du péché est le moment de la liturgie au cours duquel je peux le plus me sentir enjointe de prendre au sérieux ma relation à Dieu.

Si je ne reprends pas à mon compte les conclusions de certains à propos de la confession du péché, j’entends volontiers leur question : quel sens cela a-t-il de confesser son péché chaque dimanche ? Commençons par poser quelques distinctions. Le péché doit être distingué des péchés. Quand on dit « péchés », on a tendance à imaginer des actes. Concevoir le péché ainsi est très réducteur et laisse trop de place à la morale des hommes dans notre relation à Dieu. Or l’Évangile n’est pas une leçon de morale et le péché ne relève pas de la morale. Paul Tillich (1886-1965) écrivait dans un volume de sa théologie systématique que « le péché, c’est l’état où on est aliéné vis-à-vis de ce à quoi on appartient : Dieu, son propre soi, le monde ». Le péché est un état dans lequel je suis détourné de Dieu, de moi-même, des autres. On pourra, si l’on y tient, qualifier de péchés les actes qui nous détournent de Dieu, de nous-mêmes et des autres. Le premier d’entre eux sera certainement notre volonté de nous construire par nos propres moyens.

Le temps liturgique que nous évoquons ici est aussi nommé « prière de repentance ». On peut avoir l’impression qu’il s’agit d’un moment qui consiste à demander pardon à Dieu, et ce d’autant plus qu’un moment liturgique souvent appelé « annonce du pardon » suivra. Je n’exclus pas que la confession du péché comprenne une dimension de ce type mais elle n’est pas première. Il s’agit de s’avouer quelque chose d’abord à soi-même. Et nous adressons cette prière à Dieu parce que nous reconnaissons que nous lui appartenons. C’est lui qui pose dans notre vie les repères et le cadre qui nous permettent de nous livrer à la confession du péché. Être pécheur désigne un état de relation. Je ne peux me dire pécheur que si je me sens en relation à Dieu. Or, ce Dieu, qu’attend-il de moi ? Un court extrait du Deutéronome, qui fait parler l’Éternel juste avant l’entrée en terre promise, nous le fait entendre : « J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie afin que tu vives, toi et ta descendance. » (Dt 30,19)

Si je prends au sérieux l’affirmation que Dieu me garde sa grâce quoi qu’il advienne, si je crois qu’il sera avec moi là où j’irai, comme il le promet à Jacob (Gn 28,15), je crois que je le trouverai dans ma vie. Ou plutôt, je crois qu’il me trouvera. Il me revient alors de le laisser faire, de me laisser faire. Mais souvent, je ne veux pas de ce que le divin me donne, parce que cela ne correspond pas à ce que je voudrais, à ce que j’avais commencé à façonner de mes propres mains. C’est trop différent, trop compliqué, je ne me sens pas prête pour vivre quelque chose qui m’oblige à faire face à ce que j’avais consciencieusement caché sous un tapis. L’Éternel, qui est un Dieu de libération, insiste pour que je me confronte à ce que je fuyais. Le péché, c’est ce qui m’empêche, dans les moments où le divin m’offre de l’inattendu, de dire oui, pour m’obstiner à m’accrocher à mon projet, celui que j’ai conçu à ma mesure. Dieu, lui, est dans la démesure. Il est le centre de ma vie, ce qui la fonde et lui donne son sens. Je suis telle que je devrais être lorsque j’arrête de me débattre et que j’accepte que je lui appartiens. Or, comme l’écrit l’auteur de l’épître aux Hébreux, « c’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant » (10,31). Dieu m’appelle sans cesse loin du confort et ce qu’il me donne à vivre m’engage totalement. Si je suis honnête avec moi-même, je dois admettre que la source de mon obstination à me détourner de cela est souvent dans des angoisses, des inimitiés, de vieilles tristesses, dans tout ce qui, tapi au fond de moi, plombe mes pas, retient mes élans, brime mon audace et me condamne au même, alors que lui fait toutes choses nouvelles.

Mais pourquoi se livrer à une confession du péché chaque semaine ? Je fournirai deux raisons. La première, pratique, est que l’on peut espérer que chaque dimanche, une nouvelle personne franchisse la porte d’un temple et puisse entendre cette évocation de la condition humaine à l’aide du langage chrétien. Ce qui, pour certains d’entre nous, apparaît comme répétitif peut être, pour un autre, une découverte. La seconde, c’est que le texte de la confession du péché est potentiellement celui de la liturgie qui nous parle le mieux de nous. Lorsque le texte choisi par le pasteur ne me raconte pas, j’ai le sentiment qu’un élément manque au culte. Je ressens alors de la déception. Et si le texte choisi tient lieu de leçon de morale, d’encouragement à progresser dans une vie vertueuse, je ressens de l’agacement. Si ma réaction est si forte, c’est que j’attends de la confession du péché qu’elle mette en mots le tiraillement intérieur de l’homme, pris entre foi et doute, entre vie et mort.

Le culte, comme l’expliquait Raphaël Picon, a une dimension narrative. Une de ses fonctions est de nous raconter. Et raconter notre vie sans évoquer ce qui l’encombre n’aurait pas de sens. Chaque dimanche, la confession du péché peut être un moment privilégié pour entrer en nous-mêmes et oser regarder ce qui nous entrave. Après avoir entendu que Dieu nous donne sa grâce sans condition, nous sommes plus à même de faire face à nos ténèbres intérieures. Le théologien allemand Friedrich Schleiermacher (1768-1834) écrivait dans sa dogmatique que « l’âme du chrétien ne connaît jamais le péché sans connaître, en même temps, la puissance de la rédemption ». Oui, nous sommes ou nous avons été abîmés, nous sommes emplis de peurs qui nous conduisent à refuser la relation avec les autres ou à les blesser. Nous voulons tout maîtriser, être forts, être les meilleurs, être bien vus, nous sommes bourrés d’orgueil, nous voulons nous donner notre propre vie, parce que nous sommes angoissés par l’indifférence, le néant, la mort. Nos relations, parfois, ne sont pas belles à voir. Malgré cela, l’Éternel veut de nous. Nous avons besoin, encore et encore, de nous regarder honnêtement devant lui tels que nous sommes, en manque, et d’entendre qu’il œuvre pour que nous choisissions la vie plutôt que la mort, la bénédiction plutôt que la malédiction. La confession du péché dit mieux que tous les autres textes liturgiques quelle est la condition humaine : nous sommes aimés mais entravés, aimants mais effrayés, désireux de nous abreuver de vie mais angoissés par la mort, nous avons tendance à nous détourner de ce qui fait vivre mais qui fait peur, pour choisir ce qui anesthésie notre existence mais la rend tranquille.

La liturgie ne s’arrête pas à la confession du péché, de même que si nous avons foi en Dieu nous ne pouvons pas nous arrêter à ce constat. Dieu nous assure qu’il nous veut encore, que notre foi nous a sauvés de la léthargie et nous confessons notre foi en lui. Alors nous sommes rendus capables d’affronter nos angoisses, nos colères tenaces, pour nous tourner vers le Dieu vivant, qui nous veut vivants. À son image.

 Éternel, toi qui es le Dieu vivant, toi qui es le Dieu des vivants, sois encore mon Dieu. Je suis assailli par les angoisses, je me ferme à toi, à moi-même, à ces autres que pourtant tu mets sur mon chemin comme autant d’occasions de me relever et de me réjouir. Je m’obstine dans mes colères, mes haines, alors que tu m’appelles à l’amour. Ce que tu m’offres m’effraie, au lieu de me donner des ailes. Tu m’as fait pour la joie, et je suis empêtré dans mes regrets et mes remords. Tu m’as fait pour le présent, et je reste lié par les tourments du passé. Tu m’as fait pour la vie, et je me laisse si souvent aller à la mort. Tu m’as fait et je t’oublie. Éternel, toi qui es le Dieu vivant, toi qui es le Dieu des vivants, toi qui es mon Dieu, attire-moi encore vers toi.

 

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À propos Abigaïl Bassac

est titulaire d’un master de l’École Pratique des Hautes Études (section des sciences religieuses) et étudiante en master de théologie à Genève. Elle est assistante des enseignants à l’Institut Protestant de Théologie et directrice de la rédaction d’Évangile et liberté.

Un commentaire

  1. claurerene.miniere@gmail.com'

    Confesser son péché à un autre pour le confesser peut soulager momentanément la conscience mais ne présente pas d’intérêt existentiel profond si la confession n’est pas suivie d’une volonté de ne plus pécher. Là est l’important.
    « Cesser de pécher » est le vrai sens du mot « pénitence ». Si les hommes s’étaient mis à cette vraie pénitence, dans leur quotidien, cherchant à accomplir le Sermon sur la Montagne, et non celle fourvoyée d’un sacrement chez les catholiques par exemple, par lequel ils ne changent pas leur vie, il y a longtemps que le monde aurait changé parce que l’homme se serait re-spiritualisé, l’amour du prochain serait devenu la norme vivante de la sociabilité.

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