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La vérité des textes bibliques est au-delà de l’histoire

 

Ce qui est écrit dans la Bible est-il réellement vrai ? Cette question n’est pas seulement posée par des athées ou des agnostiques. Elle préoccupe presque davantage les chrétiens croyants qui aiment la Bible mais qui rencontrent des difficultés avec de nombreux textes. J’aborde cette question à l’aide de deux exemples, le récit de la Création, dans le 1er chapitre de la Genèse, puis celui de la sortie d’Égypte des Israélites, en Exode 14.

 Le premier récit de la Création

Les sciences exactes, et en premier lieu la physique, ont prouvé de manière convaincante que le ciel et la Terre n’ont pas été créés exactement en sept jours. En ce qui concerne l’origine de l’univers, la science fait preuve d’une bien plus grande prudence et humilité que les croyants fondamentalistes. En effet, elle ne cesse d’affirmer que beaucoup de choses lui échappent. Toute avancée scientifique incite les chercheurs à corriger leurs modèles.

Qui comprend le premier récit de la Création dans le livre de la Genèse de manière littérale commet une erreur fondamentale. Le texte présente certes quelques éléments scientifiques ; il admet par exemple qu’il existe différentes « espèces » de plantes, ce terme étant employé dans son sens scientifique. De même, la distinction entre les êtres aquatiques, aériens et terrestres est, au moins dans un premier temps, une notion scientifique. Mais l’auteur de ce récit ne s’intéresse pas en premier lieu à la manière dont la Terre a été créée ; c’était à l’époque une question de luxe. Les hommes qui vivaient au temps de la rédaction de ce récit avaient d’autres questions, bien plus existentielles, bien plus brûlantes. Ils se préoccupaient de savoir si l’homme pouvait vivre en sécurité sur la Terre et, en termes plus marqués, s’il pouvait y survivre. La réponse donnée par le récit à cette question existentielle est la suivante : oui, la survie de l’humanité n’est pas en jeu, car Dieu a confié aux hommes une Création très bien ordonnée et stable. Par exemple, il a remis à leur place les eaux potentiellement dangereuses.

Il convient dès lors d’attirer l’attention sur un point particulier. Ce qui nous choque dans le premier récit de la Création, c’est avant tout l’ordre donné par Dieu aux hommes d’assujettir la Terre et de dominer les animaux. De nos jours, cet ordre est considéré par beaucoup comme l’une des causes de la destruction de nos bases vitales naturelles. Ce faisant, on oublie un élément important : dans le monde où vivaient les Israélites, la nature sauvage occupait plus de place que la civilisation. La survie des hommes était menacée, et non celle des animaux sauvages. On ne craignait pas – à juste titre – la surpopulation, mais la disparition des hommes de la surface de la Terre. Ce qui aujourd’hui semble être un ordre, « Soumettez-vous la terre », constituait alors la promesse, pour les premiers lecteurs de Genèse 1, qu’il y aurait toujours des hommes sur la terre.

En comprenant Genèse 1 de manière littérale, nous commettons donc une erreur fondamentale. Nous interprétons le texte comme s’il était adressé à des humains rassasiés, qui n’ont pas de vrais problèmes et ne doivent pas lutter chaque jour pour leur survie.

Toutefois, le texte conserve pour nous sa validité, précisément en ce qui concerne les rapports entre nature, culture et civilisation. Aujourd’hui, c’est d’abord la nature qui est menacée, et non la civilisation des hommes. C’est pourquoi, si nous souhaitions nous astreindre à une interprétation correcte du texte, nous devrions de nos jours inverser l’injonction de Genèse 1 de cette manière : « Ne vous soumettez pas la Terre ».

En conclusion, Genèse 1 n’est pas à comprendre, du moins en premier lieu, comme un exposé scientifique sur la manière dont le monde a été créé. Pour son auteur, il s’agit plutôt de démontrer que Dieu a créé le monde de telle manière que les hommes peuvent y vivre en toute sécurité et ne sont pas menacés.

 La fuite hors d’Égypte

Venons-en au récit de la fuite d’Égypte des Israélites, relaté dans le deuxième livre de la Bible, en Exode 14. L’entreprise est sur le point d’échouer : une armée égyptienne poursuit les fugitifs et risque de les rattraper, mais un miracle se produit. Sur ordre de Dieu, Moïse étend sa main au-dessus de la mer. Les eaux se séparent et forment un mur à gauche et à droite des Israélites, qui traversent la mer à pied sec. Lorsque  les Égyptiens les poursuivent, Moïse étend à nouveau sa main, la mer se referme sur eux et tous se noient lamentablement.

Ce récit contient sans doute des souvenirs de plusieurs événements réels. À maintes reprises, des Sémites, dont certains sont les ancêtres des futurs Israélites, ont fui l’Égypte où ils étaient soumis à la corvée. Or, aux environs du delta égyptien, il y avait des eaux dans lesquelles le « miracle » pouvait se produire. Une attention particulière doit être accordée au lac Bardawil (anciennement lac Serbonis), qui était souvent recouvert de sable amené par un vent. Lorsque l’eau et le sable se mélangeaient, une sorte de marécage se formait, dans lequel il était facile de s’enfoncer et de perdre la vie. L’historien Diodore rapporte notamment que le roi perse Artaxerxès III y a perdu une partie de son armée lors de son expédition contre l’Égypte en 342 ou 341 avant Jésus-Christ.

Il se peut que le récit d’Exode 14 contienne un vague souvenir de ce terrain. En effet, en restant centrés sur les imposantes murailles d’eau, nous avons tendance à ne pas discerner dans le texte de l’Exode la description d’un événement certes tout aussi merveilleux, mais plus réaliste. Selon le récit biblique, Dieu a fait reculer la mer pendant la nuit par un fort vent d’est, de sorte que les Israélites ont pu la traverser, tandis que les Égyptiens s’y sont noyés lorsque les eaux se sont retirées à l’aube.

L’Ancien Testament rapporte et entremêle les deux versions de l’événement, l’une miraculeuse et l’autre plus naturelle. Le récit pouvait être raconté ainsi parce qu’il ne faisait aucun doute pour les Israélites que Dieu était à l’origine de cet événement, et non pas des forces naturelles agissant de manière indépendante. Leurs expériences de secours miraculeux étaient si impressionnantes qu’elles ont été progressivement « exagérées ». Il nous faut reconnaître que par essence, la foi est toujours démesurée, excessive : Dieu a sauvé tout

Israël à la mer Rouge, par un miracle qu’on ne pourrait décrire de manière plus impressionnante. Même le pharaon a été tué : grand ennemi, grand honneur ! Israël décrit le miracle de la mer Rouge à maintes reprises dans ses Écritures, particulièrement dans des chants de reconnaissance : « Coupant en deux la mer des Joncs […], il fit passer Israël au milieu […], précipita le Pharaon et son armée dans la mer des Joncs » (Psaume 136,13-15). Dans ce psaume, les Israélites s’identifient à leurs ancêtres : à leur tour, symboliquement, ils ont été sauvés à la mer Rouge… et moi de même, lors de la fête nationale suisse du premier août, je me considère en tant que Bernois aux côtés des trois cantons de la Suisse intérieure ayant conclu leur alliance du Grütli (au bord du Lac des Quatre-Cantons) en 1291.

L’action de grâce la plus connue au sujet de l’épisode de la mer Rouge se situe dans le cantique que Moïse et les Israélites entonnèrent après la destruction des Égyptiens : « Je veux chanter le Seigneur, il a fait un coup d’éclat. Cheval et cavalier, en mer il les jeta » (Ex 15,1). Dans ce chant enthousiaste, Dieu ne se contente pas de vaincre les Égyptiens, un ennemi trop insignifiant ! En effet, ces derniers se transforment en eaux insoumises et chaotiques qui menacent de ramener le monde à l’état précédant la création ; Dieu les remet à leur place et ainsi il ne sauve rien de moins que la Création. Dans le chant de la mer Rouge, on peut donc identifier quelques faits concrets que la foi a ensuite interprétés à sa manière.

 Vérité existentiale et ontologique

Le récit de la Création et celui des Israélites sauvés à la mer Rouge nous offrent deux exemples de la manière dont le « message » d’un texte se trouve déformé dès lors qu’il est interprété littéralement. Si l’on examine les textes bibliques uniquement sous l’angle de la question « Sont-ils historiquement vrais ? », on fait usage du concept moderne de « vérité » employé par les sciences exactes, passé dans le langage courant, qui s’avère dangereux lorsqu’il est appliqué à la lecture de la Bible.

Afin d’adapter notre compréhension de la vérité aux Écritures, nous pouvons nous inspirer d’un dicton du philosophe païen Sallustius, qui défendait les divinités et les mythes païens en affirmant que « Tout cela n’est jamais arrivé, mais reste vrai à jamais ». Il en va de même des textes bibliques, qui peuvent donner du fil à retordre à leurs lecteurs, car ils relatent des événements qui ne se sont pas produits tels que décrits par leurs auteurs, mais qui sont pourtant vrais, non au sens scientifique du terme, mais au sens existential et ontologique.

 

 

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À propos Hans-Peter Mathys

professeur émérite d’Ancien Testament et de langues sémitiques à la Faculté de théologie de l’Université de Bâle. Activités antérieures : Assistant à Berne (doctorat), séjours d’études à Göttingen et à Jérusalem. Pasteur aux Franches Montagnes et en Ajoie, professeur extraordinaire à Heidelberg.

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