Accueil / Commentaire biblique / Un soupir (Marc 7, 31-37)

Un soupir (Marc 7, 31-37)

C’est l’histoire d’un va et vient, comme une respiration, comme le ressac de la mer. C’est l’histoire du souffle qui a besoin d’espace pour circuler. C’est l’histoire d’un soupir. Soupir de lassitude, de soulagement, d’abandon, de confiance ? Dans ce récit de guérison d’un sourd qui a du mal à parler, Jésus soupire et c’est la seule occurrence de ce verbe dans les évangiles. Adam avait eu besoin du souffle de Dieu pour que l’air emplisse ses poumons et qu’il devienne vivant. Jésus, dans sa pleine humanité, a connu la douleur de chaque nourrisson lorsque l’air déploya ses poumons, tout juste sorti du ventre de sa mère. C’est une histoire dans laquelle la respiration guérit.

Tout ce texte est bercé par le même mouvement, comme l’air qui entre et sort des poumons. Jésus quitte un territoire pour revenir dans un autre ; premier mouvement de la respiration. Dans une pause, comme dans un souffle retenu, on lui amène un homme ; celui-ci est sourd et a du mal à parler. Ses oreilles, bouchées, ne permettent pas au souffle d’entrer ; sa langue, engourdie, ne permet pas au souffle de s’extraire. En lui, une situation de blocage, de trop plein. Son corps, son être sont hermétiques. On dit souvent qu’il faut un vide, un manque, pour accueillir le souffle, l’Esprit. Dans le cas de cet homme, il va falloir réguler une surpression qui entrave sa capacité à entendre et à dire. Jésus ne va pas retirer ce qui encombre, ce qui obstrue ; il va, par son souffle, augmenter encore la pression jusqu’à faire rompre la membrane qui entravait oreilles et bouche. Il va ainsi libérer cette respiration si longtemps retenue.

Le récit est pour le moins déroutant si l’on prend le temps de s’arrêter sur les mots et de ne pas sauter trop vite au dénouement, heureux et libérateur. Face à l’homme, qu’il a entraîné à l’écart, Jésus « lève les yeux au ciel et soupire ». L’expression « lever les yeux au ciel », bien que peu utilisée, se retrouve dans d’autres récits, notamment dans les récits de multiplication des pains (Marc 6,41 et Matthieu 14,19) et dans le récit de la résurrection de Lazare (Jean 11,41). On peut se demander pourquoi, pour ces miracles spécifiquement, Jésus se tourne vers le Père. Comme s’il avait besoin, à ce moment précis, d’être conforté, soutenu dans son action. On imagine bien ce mouvement, la tête légèrement inclinée en arrière, les yeux se refermant légèrement, les poumons s’emplissant d’air dans une inspiration profonde. Ce regard vers le Père est le souffle dont Jésus emplit ses poumons avant de pouvoir soupirer. Les traductions sont concordantes : le texte ne dit pas que Jésus « souffle » mais bien qu’il « soupire », dans ce mouvement si profond de la respiration qui fait que les poumons se vident. Le souffle, grâce auquel Jésus libère les oreilles et la langue du sourd, n’est pas un souffle superficiel, mais vient des poumons de Jésus, d’un air qui lui a permis, quelques secondes, de vivre. Le reste du geste de Jésus, la boue, la salive pourrait être l’artifice du prestidigitateur. Il donne le change pour d’éventuels témoins : il procède comme le ferait un guérisseur de l’époque. Mais tout s’est joué avant : dans le soupir de Jésus, dans la complicité avec le ciel vers lequel son regard est tourné.

Le soupir aurait pu être pris comme une marque d’agacement. Mais au contraire, la présence de ce mot, comme une petite pierre sur laquelle on achoppe, nous rappelle que rien ne nous est rapporté des humeurs et des traits de Jésus. On connaît sa colère contre les marchands du temple, mais on ne sait s’il a ri, souri. On ne sait comment ses muscles répondaient à l’appel de son corps lorsqu’il marchait, des journées durant, entouré des disciples et suivi par la foule. Giorgio Agamben va jusqu’à dire que Pilate est le seul personnage des évangiles dont on connaisse les sentiments. Pour Jésus, l’incarnation ne passe pas par ce qu’il donne à voir par des sentiments, des émotions. C’est par son corps qu’il imprime déjà son lien entre le Père et tous les hommes, par l’air qu’il respire et le souffle qu’il leur donne.

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Loup Cornut

est théologienne de formation, titulaire d’un Master professionnel en théologie. Elle occupe actuellement le poste de responsable administratif de la paroisse de Pentemont-Luxembourg à Paris. Ses recherches se déploient dans le champ de l’éthique et s’attachent plus particulièrement aux génocides.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading