Mon hypothèse est que l’Islam, comme culture formée autour d’une religion, est fondamentalement herméneutique. Les grands courants de pensée intellectuels, spirituels, juridiques qui s’y sont développés avaient pour socle l’exégèse. À la base du développement spectaculaire de l’Islam entre les IXe et XIe siècles, il y a une fragilité qui sera progressivement transformée en force : le caractère problématique du Coran. Examinons trois sciences qui ont dû se développer pour résoudre les problèmes du texte.
L’étude de la composition du Coran vise à répondre aux critiques, venues souvent des autres religions, qui pointent le caractère fragmentaire du Coran : une même histoire peut être dispersée entre plusieurs sourates. Mais ceux qui ont voulu identifier les causes de ce style si particulier ont apporté des réponses différentes, sans parvenir à un consensus.
La chronologie de la révélation veut retrouver l’ordre chronologique des révélations parvenues à Mahomet qui a été perdu. La constitution du Coran aujourd’hui acceptée a fini par ordonner le texte – sans qu’on sache à ce jour pourquoi – par taille décroissante des sourates. Aux Xe, XIVe et XVe siècles, trois grands savants ont proposé des chronologies ; leurs listes sont toutes différentes.
La science de l’abrogation tente d’expliquer les contradictions du texte. Ainsi, le vin est décrit comme une boisson paradisiaque ; ailleurs, il est proscrit pendant la prière ; un dernier passage le désigne comme satanique et illicite. Certains versets seraient donc abrogés par d’autres. Mais cette théorie n’est déjà pas acceptée par tous ; et en l’absence d’une chronologie établie, quels versets retenir ? Selon les auteurs, le décompte des versets abrogés peut aller de trois à quatre cents.
Tous ces savants, face à ce texte problématique, ont dû chercher des clefs exégétiques dans d’autres cultures, chez les peuples conquis : juifs, chrétiens, grecs, iraniens, indiens… Dès le début, il a fallu une prise de distance par rapport à la lettre du texte, trouver un espace herméneutique qui peut créer aussi un espace de liberté.
(Ce texte est issu d’un entretien accordé à Adrien Duclos)
Pour faire un don, suivez ce lien