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Un nouveau temple

 

Il y a un temps pour tout, écrit l’Écclésiaste. Un temps pour démolir et un temps pour bâtir. À la Réunion, on le croit encore plus qu’ailleurs sans doute. Ceux qui connaissent cette Église ou qui s’intéressent au monde missionnaire, savent que le projet d’un Centre paroissial dans le sud de l’île est un projet ancien qui a animé comme découragé de nombreuses bonnes volontés. Ce projet est tellement associé à la vie de cette Église d’Outre-Mer qu’il ferait presque penser à cette autre figure d’un autre sud : l’Arlésienne !

Tout comme ce personnage de Daudet, le Centre Martin Luther King a été pour l’Église Protestante de la Réunion et ses partenaires, soit inexistant soit trop existant. Un doux rêve des tropiques pour ceux qui au fil des ans n’y croyaient plus, un trop gros poids dans la vie de cette Église pour ceux qui espéraient en voir un jour l’aboutissement. Il n’en aurait pas fallu beaucoup pour que ce projet, ce rêve, ne devienne une véritable promesse de gascon.

 La particularité de l’île

Mais aujourd’hui, ce lieu de culte a vu le jour et fin janvier y a été célébré le premier culte. Ce n’est pas tous les jours que des luthéro-réformés célèbrent un culte dans un de leurs temples fraîchement sorti de terre. Et pour les pasteurs du lieu qui ont quitté les Cévennes pour cette île intense, ce n’est pas chose classique que d’ouvrir un temple au lieu d’en fermer.

Vous penserez sans doute que sur cette île, dont d’aucuns diront qu’elle porte bien son nom, voir un lieu religieux se bâtir ne doit rien avoir d’exceptionnel et dans une certaine mesure cela est vrai. Les temples hindous, les chapelles évangéliques, les autels à Saint Expédit ou les mosquées existent en grand nombre et régulièrement celui-ci augmente. Il est vrai que sur ce petit bout de France d’ailleurs, la vie religieuse ne se vit pas comme ailleurs. Certes, le principe républicain de laïcité y est appliqué mais ce n’est pas sans une certaine souplesse par rapport au côté exclusif qu’il prend en métropole. Et si l’image d’Épinal d’une société réunionnaise vivant dans la concorde et le dialogue interreligieux ne correspond pas tout à fait à la réalité, il faut quand même bien admettre que sans s’occuper de la religion de l’autre et sans que l’autre se mêle de ma religion, le « vivre avec » ressemble vite à du « vivre ensemble ».

 D’autres nouvelles constructions

Alors qu’est-ce qui justifie ces lignes dans cette revue ? Dire au protestants boréaux la chance des austraux ? En fait, cette construction nouvelle nous pose une question qui peut avoir des échos aussi bien dans l’hémisphère nord que dans celui du sud. Cette question a trait particulièrement à la construction d’un bâtiment à caractère religieux.

Il faut noter que le protestantisme à la Réunion est une ultraminorité. Mais à la différence de la métropole où le protestantisme, s’il est ultra-minoritaire en nombre, est très présent dans l’histoire et dans les esprits (reconnu souvent pour un christianisme moderne), ce n’est pas le cas sur l’île où il est presque toujours considéré comme une secte (le pentecôtisme qui est aujourd’hui le courant le plus représenté y est sans doute pour quelque chose). Alors construire un temple protestant n’a pas forcément le même impact positif qu’il pourrait avoir ailleurs. Connaître cette situation nous amène à nous questionner sur la construction de mosquées en France métropolitaine. On entend souvent que nos églises ou temples datent d’une époque où il n’y avait pas de musulmans et oùles religions étaient religions d’État. Mais il ne faut pas oublier que les musulmans étaient présents bien avant les protestants sur cette terre de l’océan indien. La mosquée de Saint Denis de la Réunion est la plus vieille mosquée de France (construite en 1905).

 Un nouveau regard sur le paysage cultuel

Ce qui peut donc nous questionner avec cette construction, c’est notre position quant aux autres religions émergentes sur notre territoire. Cette construction vient peut-être relativiser la position parfois tranchée sur la construction aujourd’hui de mosquées. À l’heure où le parlement discute du projet de loi confortant le respect des principes républicains, il semble plus que jamais nécessaire de remettre en perspective certains aspects historiques et géographiques. Et surtout, il faut rappeler que ce n’est pas parce que la France est couverte de clochers et qu’on trouve des croix à tous les carrefours qu’elle est pour autant une terre chrétienne. La France, de son territoire métropolitain au passé judéo-chrétien à ses terres les plus éloignées et perdues dans les océans, où l’islam peut être majoritaire comme à Mayotte, est une nation laïque qui ne reconnaît aucun culte.

Alors au lieu de chercher à effacer ou rendre invisibles les religions, peut-être devrions-nous commencer par les regarder avec toutes leurs richesses. Et si dans nos belles campagnes de France un croissant se dresse sur un toit entre le clocher de l’église et la croix du clocheton du temple, songeons que dans un bout de France éloigné de 10 000 km, un temple s’est dressé peut-être où l’on ne voulait pas qu’il fût.

 

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À propos Christophe Cousinié

Certifié de Sciences Po Paris dans la formation « Emouna, l’amphi des religions», Christophe Cousinié est pasteur de l’Eglise protestante à la Réunion.

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