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La Croix est-elle le cœur de la foi chrétienne ?

 

Il n’est pas question ici de sous-estimer l’importance de la Croix, de la crucifixion et des récits de la Passion dans le Nouveau Testament. Je sais aussi tout ce que la Croix de Jésus symbolise depuis plus de 2000 ans.

Cela dit, n’y a-t-il pas trop souvent une sorte d’envahissement de la Croix dans la spiritualité et la piété chrétiennes ? Un excès ? Ce dernier marque, par exemple, la pensée de Paul déclarant aux Corinthiens : « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. » (1 Co 2,2) Cette même démesure caractérise une bonne partie de la théologie de Luther qui parlait de sa propre pensée en la définissant comme une « théologie de la Croix ». Le pasteur Wilfred Monod, dans l’œuvre duquel tout un protestantisme libéral s’est reconnu, ne fut pas seulement christocentrique, mais bien crucicentrique. Le sang versé par Jésus sur la Croix joue dans son œuvre un rôle prépondérant et assez embarrassant.

J’estime que le sang tient d’ailleurs une place fort gênante dans toute la Bible : sang versé dans des batailles conduites par Dieu lui-même, sang des sacrifices exigés par l’Éternel et la liturgie du Temple, mort de Jésus voulue par un Dieu ne nous accordant son pardon qu’à la condition que le sang d’un innocent coule sur la Croix !

Cette focalisation sur la Croix me semble conduire parfois à un véritable égarement de la pensée chrétienne. C’est bien ce que voulut dénoncer Raphaël Picon quand il publia dans Évangile et liberté un éditorial, qui choqua certains, intitulé « De grâce, décrochez la croix ! ». Il y écrivait notamment que « Dieu n’est pas un crucifix » et nous invitait à ne pas nous installer dans « la fascination du morbide ». On a pour le moins quelque peine à imaginer qu’une nouvelle religion aujourd’hui prenne pour emblème une guillotine ou une chaise électrique. Raphaël Picon écrivait encore, dans son livre Un Dieu insoumis, que Dieu « est un combat contre la croix ». (p. 76-77)

Bernard Reymond, bon connaisseur du Réformateur suisse-allemand Huldrich Zwingli, rappelle, dans Études théologiques et religieuses que dans la tradition réformée zwinglienne l’événement par excellence du calendrier chrétien n’est pas le Vendredi saint, comme chez les luthériens, mais Pâques et la Pentecôte, « ce dont témoigne le fait que, lorsque des croix latines ont commencé à faire leur retour dans des temples dès la première moitié du siècle dernier, elles ont toujours été inhabitées (elles sont d’après la résurrection), tandis que les croix luthériennes comportent une représentation du Crucifié. » (2020/1, p. 127)

Notre foi est animée par le Christ vivant, non par un mort, fût-il un grand mort.

Albert Schweitzer a souligné que le cœur de la dogmatique chrétienne n’est pas à trouver dans le drame de la Croix et dans une théologie de la rédemption, mais dans « la venue du Royaume de Dieu en notre cœur et dans le monde ». Le centre de gravité de notre foi ne réside pas dans le passé.

Un regard sans cesse tourné vers la Croix nous fait regarder en arrière, alors que le Dieu de l’Évangile et de la résurrection nous oriente vers un futur à construire. Il ne s’agit donc pas de nous référer, passifs, à un événement qui nous tourne vers le passé, heureusement dépassé. C’est parce que la Croix est définitivement derrière nous qu’une vie nouvelle et qu’une espérance créatrice sont possibles.

 

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À propos Laurent Gagnebin

docteur en théologie, a été pasteur de l'Église réformée de France, Paris ( Oratoire et Foyer de l'Âme ) Professeur à la Faculté protestante de théologie.Il a présidé l’Association Évangile et Liberte et a été directeur de la rédaction du mensuel Évangile et liberté pendant 10 ans. Auteur d'une vingtaine de livres.

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