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Bonaventure des Périers

 

En 1566, le théologien réformé Henri Estienne nous en apprend de belles sur l’effroyable fin de Bonaventure des Périers : il « s’enferra de son espee sur laquelle il s’estoit jetté, l’ayant appuyee le pommeau contre terre, que la pointe entree par l’estomach sortoit par l’eschine ». Ne fallait-il pas une mort aussi horrible et infamante pour celui qui incarne presque à lui seul l’athéisme le plus radical ? Calvin, dans son traité Des Scandales, et Farel, dans Le Glaive de la parole véritable, avaient déjà, depuis Genève, jeté l’opprobre sur « Deperius ». Cependant, rien n’indique que notre auteur ait jamais commis un tel acte attentatoire et – grave péché – désespéré. Du reste, les historiens ne connaissent pas la date de sa mort, placée en 1543 ou 1544.

L’idylle avait pourtant bien commencé. Né en Bourgogne vers 1510, Bonaventure avait suivi le cursus honorum parfait de l’humaniste bon teint. Il est formé à Autun, près Robert Hurault, abbé de Saint-Martin. Paré d’une excellente connaissance des langues antiques, il se rapproche des milieux sympathisant avec les idées religieuses nouvelles. Ainsi, en 1535, il collabore avec Robert Olivétan, cousin dudit Calvin, afin d’établir la première grande traduction française de la Bible. Il offre également ses services à Étienne Dolet, qui n’est pas encore entièrement passé du côté de la libre pensée. Des Périers semble si à l’aise dans les milieux ouverts à l’évangélisme qu’il devient valet de chambre au service de Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, et favorable aux idées qui traversent le Rhin depuis Wittenberg. Qui plus est, lorsque le très catholique François de Sagon attaque Clément Marot, notre auteur prend vigoureusement la défense du second contre le premier. Tout contribuerait à l’inscrire au tableau des premiers intellectuels attachés à la Réforme, de ceux qui avaient, selon la belle expression de l’enfant de Noyon, « gousté l’Évangile ».

Que s’est-il donc passé pour que le milieu protestant le vilipende ensuite à l’unisson ? C’est que l’écrivain est allé plus loin, trop loin. En 1537, il publie sous l’anonymat son Cymbalum Mundi, la « cymbale du monde ». Aussitôt édité, l’ouvrage est saisi sur ordre exprès du roi par le Parlement de Paris. La Sorbonne même est appelée à délibérer. Et l’on détruit le livre. Car cette cymbale  joue à tue-tête pour crever les tympans des religieux de tout poil. Si le contenu est peu amène envers l’Église de Rome, il n’épargne guère la théologie genevoise. Pire encore, Luther y est à demi-mot l’objet de moqueries. Ces « quatre dialogues poétiques, forts antiques, joyeux et facétieux », inspirés par la verve d’un Lucien de Samosate, n’épargnent rien. Il fallait s’en douter, puisqu’ils commencent par une lettre de Thomas du Clévier à Pierre Tryocan. Le jeu plus ou moins exact des anagrammes nous révèle que le premier est « incrédule » quand le deuxième est « croyant ». Après avoir vu défiler des divinités et de simples mortels, le lecteur finira par écouter la discussion de deux chiens… Belle façon de saper les dogmes !

Qu’en penser ? Pour un libéral, l’impiété importe peu. On lira plutôt cette œuvre complexe et tortueuse comme un petit viatique contre toute tentative de littéralisme mal placé. Il faut bien savoir ne pas sacraliser ce qui doit être objet de critique. Cependant, notre lecteur ne cédera pas à l’envie de tout piétiner. S’il écoute, c’est pour comprendre et dresser le bilan de sa foi. On a parfois besoin de vaisseaux brûlés.

 

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À propos Samuel Macaigne

Docteur en littérature française, il enseigne actuellement les lettres modernes dans un lycée de la banlieue parisienne.

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