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L’Apocalypse, une bonne nouvelle

 

Le livre de l’Apocalypse est souvent compris comme l’agenda de Dieu pour les derniers temps troublés et violents de l’histoire du monde. Dans le langage courant, l’adjectif “apocalyptique” est souvent employé pour évoquer des destructions catastrophiques et anxiogènes. Ni l’une ni l’autre de ces compréhensions ne rend justice au dernier livre de la Bible.

En effet, le sens du mot grec traduit par “apocalypse” est “dévoilement”, “révélation”. Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans le livre de l’Apocalypse : Jean, le visionnaire de Patmos, lève le voile sur les coulisses de l’histoire présente. Il dévoile et analyse finement l’idéologie de l’empire romain de la fin du Ier siècle et les enjeux du témoignage de l’Évangile en son sein. Le lecteur est ainsi placé face au choix radical entre le risque du témoignage et l’adhésion – ou la soumission – aux valeurs dominantes de l’Empire. Mais, sans doute ébranlés par les récits fantastiques et terrifiants de l’Apocalypse, beaucoup de lecteurs n’en retiennent qu’une collection de prophéties de malheurs pour l’humanité.

Béatitudes et appels à la joie

Béatitudes et appels à la joie Pourtant, à l’opposé de cette première impression, de nombreux passages donnent au livre des allures de “bonne nouvelle”. Du début à la fin, l’Apocalypse est rythmée par des béatitudes, sept béatitudes adressées à ses lecteurs fidèles (1,3 ; 14,13 ; 16,15 ; 19,9 ; 20,6 ; 22,7 ; 22,14). À deux reprises, on trouve des invitations à se réjouir qui résonnent après la victoire remportée sur Satan grâce au “sang de l’Agneau” et au témoignage des fidèles (12,11-12), comme après le récit de la chute de Babylone (18,20). Au chapitre 19, une foule immense est dans l’allégresse à l’occasion de la victoire de l’Agneau. Enfin, les chapitres 21 et 22 viennent couronner l’ensemble avec la vision de nouveaux cieux, d’une nouvelle terre et de la Jérusalem nouvelle d’où “toute larme aura été essuyée”.

Certes, cette récolte peut sembler maigre au regard des longs chapitres décrivant avec force détails malheurs et catastrophes. Au jeu de la statistique, c’est bien la destruction qui l’emporte. Mais regardons de plus près à qui s’adressent les appels à la joie et ce qui est appelé à la destruction.

Elle est tombée Babylone la Grande !

Prenons par exemple le récit de l’effondrement de Babylone au chapitre 18. Il est au centre d’un triptyque dont le premier panneau (chap. 17) raconte le jugement et la déchéance de la grande prostituée, Babylone figurant Rome, abandonnée et même dévorée par ses amants figurant les rois et royaumes vassaux de l’Empire. Le panneau central (chap. 18) détaille la chute brutale du commerce international convergeant vers la capitale de l’Empire. Le troisième panneau (chap. 19,1-10) donne à contempler une liturgie céleste à la gloire de l’Agneau et célébrant sa victoire à l’image des triomphes impériaux.

Au cœur du triptyque, le chapitre 18 raconte l’effondrement du système économique « mondial » de son époque dont le visionnaire de Patmos a la révélation. Ceci alors même qu’à la fin du Ier siècle, ce système est au sommet de sa puissance ; l’effondrement ne se produira produira historiquement qu’au Ve siècle après Jésus-Christ et d’une tout autre façon. Dans ce contexte, entre succès historiques avérés – établissement de la Pax Romana et croissance économique – et visions de destruction, une exhortation à la joie retentit pour les destinataires du livre. Au beau milieu du récit de la chute spectaculaire et cataclysmique du commerce maritime « mondialisé » de l’Empire ! Cet appel à la joie vient interrompre les lamentations désespérées et répétées de ceux, puissants et marchands, qui profitaient de sa splendeur et de sa richesse : « Égaie-toi sur elle, ciel, et les saints, les apôtres et les prophètes ! » (v.20a)

En d’autres termes, les destinataires de l’Apocalypse, en qui il faut reconnaître les fidèles de la communauté et leurs responsables – comme le lecteur qui se reconnaît en eux – sont invités à se réjouir de la chute du système économique « mondial » dénoncé comme impie par le visionnaire : ce n’est pas parce que les puissants se lamentent du tarissement de la source de leur richesse (v.10.15.19) et de la fin de leur vie confortable (v.22-23) que ceux qui n’y participaient pas – et étaient probablement les victimes du système (v.24) – doivent se joindre à leurs lamentations ! Cette réjouissance de l’opprimé à l’évocation d’un basculement de situation des puissants fait écho à de nombreux autres passages bibliques (Dt 32,43 ; Es 14,7-8…) et bien sûr au Magnificat (Lc 1,46-55).

Appel à la dissidence

Dans ce chapitre 18, l’invitation à se réjouir n’est pas la seule consigne donnée par Jean de Patmos. Au verset 4, on trouve déjà une injonction aux lecteurs : « Sortez du milieu d’elle, mon peuple, afin que vous ne soyez pas associés à ses péchés et que vous ne receviez pas une part de ses fléaux ». Il s’agit d’échapper à la colère divine, d’épargner les justes pour éviter qu’ils périssent avec les impies et à cause d’eux. Mais il s’agit d’abord de « ne pas participer à ses péchés », c’est-à-dire se désolidariser, se démarquer du système économique et de l’idéologie impériale. Cette première injonction appelle donc à entrer en dissidence active et spirituelle. On se rappelle qu’au début de l’Apocalypse, plusieurs des sept lettres aux Églises d’Asie mineure stigmatisaient déjà la tendance au compromis avec les valeurs de l’Empire (2,14.20 ; 3,15), et qu’au chapitre 13, « ne pas avoir la marque de la bête » entraînait la marginalisation économique (13,16-17). Si dans le chapitre 18, et ailleurs dans le livre de l’Apocalypse, la dimension économique est bien présente, ceux qui sont désignés comme les victimes du système impérial ne le sont pas d’abord d’un point de vue économique, mais idéologique. Ils sont d’abord des témoins confessants, et la joie à laquelle ils sont appelés n’est pas la simple allégresse d’une victoire espérée contre toute attente ni une joie revancharde face à un ennemi à terre. S’ils peuvent et doivent se réjouir, c’est qu’il leur est révélé que le système fondamentalement idolâtre et impie dans lequel ils vivent – et qu’ils subissent – n’est pas la totalité de la réalité du monde. Le témoignage risqué de ceux qui en trouvent la force dans leur espérance est avant tout un combat, une résistance spirituelle plutôt qu’une action politique au sens contemporain du terme. Il n’en demeure pas moins qu’une telle attitude dissidente a un sens politique, comme l’a bien compris l’appareil coercitif de l’Empire.

 Relire l’effondrement

Relire aujourd’hui l’Apocalypse comme une bonne nouvelle peut, dans des situations historiques certes très différentes, offrir des ressources spirituelles pour résister aux idéologies dominantes, pour ne pas être aliéné par celles-ci, pour ne pas se laisser « dés-intégrer » par elles. Il ne s’agit bien sûr pas ici de promouvoir un catastrophisme enthousiaste qui serait non seulement irresponsable mais illusoire. En effet, assumer une éthique de dissidence est autre chose que développer un pessimisme illuminé à propos de l’avenir catastrophique du monde. La perspective de l’Apocalypse de Jean est au contraire celle d’une espérance fondée sur la confiance. Contre les déterminismes dans lesquels nous pensons souvent devoir rester enfermés, elle offre une lecture différente et libératrice de l’Histoire du monde et de son horizon.

Même minoritaires, les appels à la joie – comme les sept bénédictions qui jalonnent l’Apocalypse – font de ce livre un manifeste de résistance spirituelle, de dissidence et d’espérance, et donc une bonne nouvelle.

« Heureux celui qui lit à haute voix les paroles de la prophétie, comme ceux qui les entendent et qui gardent ce qui y est écrit ! Car le temps est proche. » (Ap 1,3)

Pour un développement plus approfondi des contextes littéraire, historique et économique de ce chapitre, voir l’article « Gens qui pleurent, gens qui rient… Apocalypse 18 » dans le Cahier biblique n° 51 de Foi et Vie CXI/4 de sept. 2012 – www.foi-et-vie.fr)

 

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À propos Patrice Rolin

est animateur théologique de L’Atelier protestant.

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