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Adrien VI

Mais qu’allait-il faire dans cette galère ? On prétend que lorsqu’il apprit qu’il avait été élu pape, en 1522, Adriaan Floriszoon aurait longuement soupiré. Rien en effet ne prédestinait ce fils de menuisier et professeur de théologie né en 1459 à ceindre la tiare pontificale. Éduqué dans la devotio moderna, ce courant spirituel qui valorisait la piété individuelle, Adrien semble avoir mené une vie austère, entièrement dédiée à l’étude et l’enseignement de la théologie – un domaine dans lequel, notons-le au passage, il ne se distingua jamais par son audace, même si un lien d’amitié le liait à Érasme de Rotterdam. Cela ne l’empêcha pas de suivre le cursus honorum de l’Académie : professeur à l’université de Louvain, il en devint recteur puis chancelier.

Sa vie bascule en 1507, lorsqu’il devient précepteur de l’archiduc Charles de Habsbourg, héritier du roi d’Espagne et candidat potentiel au trône du Saint Empire romain germanique. Cette nomination, qu’il ne semble pas avoir désirée ni encore moins recherchée, contraint Adrien à suivre son maître en Espagne, lorsque ce dernier succède à son grand-père, le roi Ferdinand. Charles le fait archevêque de Tortosa et grand inquisiteur – il le nommera même lieutenant du royaume lors de ses absences hors d’Espagne. En 1517 enfin, Charles obtient pour son protégé la barrette de cardinal. La carrière de cet érudit aux mœurs austères aurait pu s’arrêter là. Mais, comme souvent, le destin (ou le conclave) devait en décider autrement. En décembre 1521, alors que la crise luthérienne est à son paroxysme, le pape Léon X (qui a excommunié en début d’année le remuant Luther) meurt à l’âge de quarante-six ans. Le conclave se passe mal : plusieurs factions s’affrontent et ne parviennent finalement à se mettre d’accord que sur le nom de celui qui n’est encore à Rome qu’un inconnu : Adrien, archevêque de Tortosa.

Dès son arrivée, le nouveau successeur de Pierre, qui a désiré conserver son nom de baptême comme souverain pontife et a pris comme devise « patere et sustine » (« supporte et attends », tout un programme !), rencontre l’hostilité de la curie. C’est qu’Adrien n’entend pas modifier son style de vie pieux et austère pour faire siennes les habitudes de ses deux prédécesseurs, Jules II et Léon X : à la chasse, il préfère la célébration de la messe au petit matin et au lieu des artistes dont s’entourent les papes de la Renaissance, il choisit de vivre au milieu des pauvres et des malades. Enfin, et surtout, Adrien VI estime que l’unité brisée de la chrétienté occidentale ne pourra être refaite que si la curie et l’Église se réforment : dans une instruction à son légat en Allemagne destinée à y être lue, le pape reconnaît publiquement la responsabilité de Rome dans le conflit qui mine l’unité de l’Église. Mais que l’on ne s’y trompe pas : Adrien VI n’en est pas pour autant un défenseur des idées de Luther, loin s’en faut. Il réaffirme ainsi la condamnation de son prédécesseur contre le théologien de Wittemberg et estime que ce dernier doit être châtié pour ses erreurs. Il s’attaque pourtant avec ténacité aux abus de toutes sortes et s’attire les reproches de bien des membres de son entourage. Il faut dire que son style de gouvernement dérange, puisqu’il fonctionne principalement par décrets et néglige les corps intermédiaires…

C’est donc avec soulagement que Rome accueille son décès, en septembre 1523, soit un an à peine après son arrivée dans la ville éternelle. On raconte que, dans ses derniers jours, le vieux pape regrettait le temps de son professorat à Louvain. Quant aux Romains, il semble, à en croire Diderot, qu’ils aient remercié son médecin en gravant sur la porte de ce dernier le titre élogieux de « libérateur de la patrie ». La curie ne commit pas la même erreur et lui choisit comme successeur le cousin de Léon X, Jules de Médicis, qui s’empressa de rappeler auprès de lui les artistes que son prédécesseur avait fait fuir.

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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