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Le Dieu imaginaire et le Dieu de l’autre

 

Si les malheurs s’abattent sur Job, c’est parce que, comme tout Homme, il est pécheur et que Dieu le punit, lui disent ses amis ! Vieille rengaine de tous les temps, mais de plus en plus inaudible de nos jours.

L’Homme est défini par sa condition pécheresse et Dieu est absous de tout le mal qui s’abat sur l’Homme puisque celui-ci est conçu comme une juste punition de l’Homme par Dieu.

Tant que Dieu est représenté comme un être transcendant au-dessus et à l’extérieur de nous, je pense qu’on ne pourra jamais sortir de ce schéma. Soit il faut absoudre Dieu, mais c’est l’Homme qui est mauvais, soit Dieu est méchant ou impuissant, mais alors ces solutions ne répondent pas à notre besoin de protection et d’amour. Il est fort compréhensible que beaucoup rejettent ce type de croyance. Le plus terrible c’est quand on affirme que ce Dieu est amour, on ne parvient même pas à le croire vraiment ! La preuve ? C’est le fait qu’on se met à affirmer ceci : « Dieu a besoin du mal qui s’abat sur son Fils pour pouvoir pardonner le péché des Hommes. »

C’est le type même de la solution du compromis d’ambivalence à l’égard du père que Freud décrit en particulier dans la clinique de la névrose obsessionnelle ! Ce conflit d’ambivalence s’exerce notamment en matière religieuse en raison de la projection sur Dieu des sentiments éprouvés inconsciemment envers le père, le Dieu théiste étant souvent dans notre psychisme un substitut paternel grandiose et idéalisé. L’ambivalence désigne la coexistence d’attitudes affectives opposées vis-à-vis d’un objet, et le plus souvent la coexistence de l’amour et de la haine pour une même personne, ici, en l’occurrence Dieu. Dieu est donc aimé et haï à la fois. On ne peut pas se passer de sa protection, mais on lui en veut de nous laisser dans notre condition souffrante et mortelle. N’aurait-il pas pu mieux faire en nous créant ? C’est surtout dans Totem et Tabou (1913) que Freud élabore avec audace et ampleur sa conception de l’ambivalence, plaçant ainsi la formation de la religion traditionnelle sur le terrain du complexe paternel : elle est édifiée sur l’ambivalence qui le domine. Néanmoins, l’ambivalence du garçon ne se porte pas que sur le père, mais connaît aussi une hostilité jalouse envers la mère, Dieu étant aussi un lieu de projection des sentiments éprouvés à l’égard de la mère…

Voici donc le tour de force doctrinal destiné à concilier ces sentiments contraires : Dieu nous aime infiniment puisqu’il sacrifie à notre profit son Fils obéissant et soumis, mais il est bien mauvais pour avoir besoin du sacrifice de son propre Fils pour pardonner aux Hommes leurs péchés. Et puis, un amour conditionnel est-il vraiment un amour authentique ? Par cette doctrine, on parvient à dire deux choses contradictoires à la fois : c’est précisément cela le conflit d’ambivalence. La voix de l’hostilité est couverte par une augmentation démesurée de l’amour éprouvé à l’égard de Dieu d’où les forts sentiments de culpabilité qui en découlent associés à l’extrême importance donnée au Péché dans la doctrine chrétienne traditionnelle.

Dans la doctrine sacrificielle de la croix, celle d’Anselme de Cantorbéry, de Luther et de Calvin, on signifie, sans que nous en prenions vraiment conscience, que Dieu et l’être humain s’aiment et se haïssent en même temps. Puisqu’on y affirme que l’homme Jésus est d’essence divine, on en vient à revendiquer pratiquement la mort du Dieu-Fils puisque c’est à cause de nos fautes qu’il doit souffrir et mourir. C’est notre haine que nous projetons et attribuons au Dieu-Père puisqu’il exige que ce soit à la fois un homme, mais aussi un Dieu qui soit châtié à notre place. Un homme seulement n’aurait pas suffi à venger l’honneur infini de Dieu. Cette substitution – plutôt diabolique – apparaît nécessaire pour que Dieu puisse pardonner notre péché originel.

En outre, un Dieu-Fils qui meurt à cause de nos fautes revient également à mettre à mort le Dieu-Père ou, du moins, à l’atteindre indirectement par la mort du Fils ! Par cette doctrine fantasmatique, nous parvenons à exprimer notre haine de Dieu en tuant le Fils de Dieu ; dans le même temps, nous surestimons de façon mégalomaniaque l’importance de notre péché puisqu’il ne faut pas moins que la mort d’un Dieu pour que nous puissions être pardonnés. En outre, dans cette doctrine, nous mettons Dieu au service des Hommes afin qu’ils puissent, une fois pardonnés, recouvrer dans l’au-delà la béatitude originelle qu’ils avaient perdue à cause du péché.

Vous me direz, tout ceci n’est que de la vieille théologie. Pas si sûr ! Elle est encore professée avec plus ou moins de nuances dans beaucoup d’Églises. Comment est-il possible que des Hommes aient pu inventer pareille doctrine ? Doctrine qui, en outre, s’est maintenue pendant des siècles !

Vous l’avez compris, croire en un Dieu personnel qui ne serait là que pour répondre à mes besoins et compenser le mal dans l’au-delà m’est impossible. Cela s’apparente pour moi à de la superstition et à « prendre mes désirs pour la réalité », cela entretient un rapport à Dieu qui devient facilement pathologique ou aliénant puisque Dieu y est conçu comme un potentat arbitraire et pervers qui agit selon son bon plaisir : les Hommes sont à la merci de ses décrets capricieux et impénétrables. Qui ne tremblerait pas devant un tel Dieu ?

Alors, me demanderez-vous : « Qu’est-ce que Dieu ? » Dieu est radicalement différent de l’Homme, Dieu c’est l’Autre, aussi je n’ai pas de vraie réponse à cette question. Mais le Christ me donne à voir qui est le Dieu invisible. Le Christ Jésus est pour moi ce sage et ce prophète qui, selon l’image qu’en présentent les quatre évangiles, a donné visage humain au Dieu caché du Premier Testament. Il est cet homme qui a su vivre dans une proximité étonnante avec son Dieu et en parler d’une façon à ce jour inégalée. Jésus m’enseigne que le Dieu qui anime sa vie est un dynamisme d’amour et de tendresse. Ce Dieu, il le donne sans aucune condition ni préalables à tous ceux qu’il rencontre et lui font confiance afin qu’ils puissent devenir des humains vivants, libres de toute aliénation. De son Dieu, Jésus a témoigné jusqu’au mal qu’il a subi sur la croix. Mais grâce à son « resurgissement », nous savons désormais que Dieu nous rejoint au lieu même où nous pensions qu’il ne pouvait en être qu’absent. Je demeure silencieux et plein de gratitude devant cette stupéfiante victoire sur la souffrance et sur la mort que représente la mort de Jésus. Dieu, en son Fils, nous rejoint jusque-là, il est avec nous et assume le mal.

Ce que je nomme Dieu est, pour moi, la réalité originaire et ultime du monde. C’est la dimension mystérieuse qui se tient par-delà nos évidences empiriques et notre rationalité scientifique et qui apporte profondeur et sens ultime à nos existences, nous donnant le courage de vivre malgré l’absurde, le mal et la mort (P. Tillich). Dieu, c’est cette force créatrice qui monte en nous pour transformer le monde et l’Homme, il combat en nous l’entropie et les forces de mort qui nous empêchent de vivre en plénitude. C’est la source des sources d’où jaillit le dynamisme qui monte en nous, qui nous préserve de sombrer dans le cynisme, la haine de la vie, la tristesse ou le désespoir. En amont de notre vie, nous sommes précédés par un don originel qui nous permet de vivre avec la certitude que nul n’est coupable d’être né et que nul ne peut être ni exclu ni condamné. Finalement, Dieu n’est-ce pas, comme l’écrit Maurice Bellet, « le plus humain de l’Homme, ce point de lumière qui précède toute raison et toute folie et que rien n’a puissance de détruire… » ?

 

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À propos Michel Leconte

né en avril 1949. Diplômé de l’École de Psychologue Praticien en psychopathologie clinique, formé à la psychanalyse. Il a exercé son métier dans la Marine Nationale. D’origine catholique, il a re- joint l’ERF et son courant libéral en 1989.

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