Après les attentats des 7 et 9 janvier 2015, on a beaucoup parlé de la « laïcité à la française ». Plusieurs personnalités issues du protestantisme libéral ont eu un rôle majeur dans la construction de cet idéal d’un « vivre ensemble en harmonie » : Ferdinand Buisson, bien sûr (v. Évangile et liberté no 239), mais la figure de son ami et collaborateur Félix Pécaut est peut-être plus emblématique encore.
Jean Pécaut (dit Félix) est né à Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques), le 3 juin 1828. Il fait ses études de théologie à Montauban d’abord, puis à Berlin et à Bonn où il affine ses orientations théologiques libérales. En 1850 (il a 22 ans), il accepte un poste de suffragant (assistant du pasteur) dans sa ville natale ; mais il renonce très vite à cette charge, car il se refuse à dire le Symbole des apôtres. Il est « consacré » pasteur en 1853, bien qu’il soit en profond désaccord avec la pensée et les pratiques de son Église qui ne lui semblent nullement en phase avec les évolutions sociales et culturelles de son temps. Dans son livre Le Christ et la conscience (1859), il se livre à un véritable réquisitoire : « Le divorce est consommé entre l’Église et l’immense majorité des hommes cultivés. […] Le langage de l’Église est pour eux une langue morte ; votre histoire sacrée, une sorte de mythologie qui tantôt les éblouit, tantôt les scandalise. »
Pécaut renonce donc à exercer toute forme de ministère pastoral. C’est en militant laïc et républicain qu’il entend vivre sa fidélité à l’Évangile. Aux côtés de Ferdinand Buisson, il travaille à la fondation de l’école de la République.
En 1880, il devient le premier directeur de l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, destinée à former des enseignantes d’écoles normales d’institutrices. Avec son souci d’élaborer les principes pédagogiques et moraux qui doivent guider les enseignants, il marque profondément ses étudiantes, pour qui il devient durablement un maître à penser pour ne pas dire un maître spirituel. Tout au long de leur carrière, elles ne cessent de se référer à ses principaux ouvrages de pédagogie : L’Éducation publique et la Vie nationale ; ou encore Quinze ans d’éducation.
Effectivement, pour Félix Pécaut, il s’agissait « d’instruire la démocratie naissante qui pour la première fois était appelée à se gouverner elle-même et de lui donner une règle morale intérieure, un fond de raison pratique, une réserve d’énergie morale, une tenue de caractère, tout ce sans quoi il n’est ni d’hommes ni de peuples libres. » (Article dans Le Temps, 2 août 1898)
Son engagement politique est au service des mêmes valeurs. Il fut l’un des premiers à prendre fait et cause pour le Capitaine Dreyfus – après avoir démissionné de ses fonctions d’inspecteur général de l’instruction publique qui l’obligeaient au « devoir de réserve ».
Malade, il se retire peu après dans son Béarn natal où il meurt, le 31 juillet 1898, à l’âge de 70 ans. Il est un bel exemple de protestant libéral : sa foi, libérée des dogmes, s’épanouit dans un engagement politique et social – par fidélité au Christ dont il n’entendait pas être « l’adorateur mais le disciple » (Le Christ et la conscience, 1859).
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