Si le commandement de l’amour est au cœur de la prédication de Jésus, encore faut-il que nous ayons la liberté d’aimer. C’est ce que les rédacteurs bibliques ont bien compris en faisant de la liberté un centre de gravité de la foi.
La liberté en premier
Nous le constatons avec le début du décalogue, ces dix paroles données au peuple Hébreu après sa sortie d’Égypte. La première chose qui est rappelée est que Dieu est celui qui a fait sortir le peuple de la maison de servitude. Les paroles qui suivent sont un moyen de préserver cette liberté et de ne pas retourner en esclavage. Mettre la liberté en tête du décalogue, c’est une manière de dire que tout ce que nous faisons dans la vie pourrait être pensé à partir de la liberté : est-ce que voler me rend plus libre ou moins libre ? Est-ce que mentir me rend plus libre ou moins libre ? D’ailleurs, le principe du sabbat est un bon moyen pour vérifier que nous sommes bien libres : peut-on passer une journée sans travail, sans téléphone, sans mails, sans tabac etc. ? Cela nous montre que la liberté, c’est d’abord la question de nos servitudes : de quoi sommes-nous dépendants ? Qu’est-ce qui nous bloque ? Qu’est-ce qui nous empêche d’être heureux, de réussir un projet ? Tant que la question de la liberté n’a pas été réglée, le reste ne pourra pas l’être. Nous pourrions même dire que nous ne sommes pas libres de réussir quelque chose si nous ne sommes pas libres de le rater. De quoi se libérer ? Il me semble que la foi chrétienne repère quatre menaces en particulier.
Se libérer
Il y a tout d’abord les déterminismes. Chacun de nous est venu au monde dans une situation particulière qu’il n’avait pas choisie : nos parents, notre nationalité, notre langue nous sont imposés. Dans un premier temps, nous sommes ce que les adultes font de nous. Ensuite nous sommes très dépendants du milieu où nous vivons : notre religion ou notre absence de religion tient le plus souvent à notre famille et notre entourage proche. Certains sont contraints de faire le métier des parents pour reprendre le flambeau, comme on dit parfois. Dans beaucoup de situations, nous subissons les choix que d’autres ont faits à notre place. Dieu dit à Abram de quitter tous ces liens qui le conditionnent pour aller vers lui (Genèse 12,1), pour être libre de mener sa vie et non la vie des autres.
Sur ce chemin de liberté, la peur est souvent une entrave. Il y a de nombreux textes bibliques où la peur est ce qui empêche le héros de l’histoire de mener à bien son projet : Saül et tout Israël devant Goliath (1 Samuel 17,11), Pierre qui coule à pic (Matthieu 14,30), celui qui a un talent et qui l’enterre (Matthieu 25,25)… La peur nous tétanise, elle nous prive de parole, elle nous ligote, elle réduit notre horizon.
Il y a aussi le conformisme dont il faut se défaire : les textes bibliques insistent sur la relation personnelle à Dieu pour nous indiquer qu’il ne faut pas aligner notre vie sur la vie des autres, mais l’orienter directement vers Dieu, vers ce qui est sacré. Souvent Jésus se détourne des jolies réponses religieuses toutes faites et préfère les réponses personnelles. Par exemple, les sœurs de Lazare récitent des formules de catéchisme (Jean 11,24) et elles disent toutes les deux la même chose (Jean 11,21.32). Jésus, lui, va vers Lazare pour ouvrir son avenir en lui disant « sors » et en disant à l’entourage « laissez-le aller ».
Enfin, il y a une quatrième menace, sournoise, c’est le pouvoir. Le pouvoir rend fou. Il fait prendre des décisions absurdes à des personnes qui cherchent à garder le pouvoir au lieu de l’utiliser pour rendre service. C’est le cas du grand prêtre qui fera condamner Jésus à mort parce qu’il a peur qu’il lui prenne sa place. Ponce Pilate, lui aussi, était aveuglé par le pouvoir jusqu’à ce que Jésus l’aide à prendre conscience de cette servitude (Jean 19,11).
Donner du sens à notre liberté
Il ne suffit pas d’être libéré pour être libre, encore faut-il faire quelque chose de notre liberté, c’est-à-dire faire quelque chose de notre vie quotidienne. Notre liberté ne s’use que si nous ne l’utilisons pas, si nous ne l’employons pas. Je repère quatre domaines dans lesquels notre liberté peut s’exprimer tout particulièrement. Le domaine principal, c’est l’amour, l’art de prendre soin de ceux qui nous entourent et d’être l’artisan de leur bonheur. L’amour permet de rester libre. L’entraide, la dimension sociale du christianisme sont autant de manières d’aider nos prochains et, dans le même temps, de préserver leur liberté : on n’est pas libre quand on meurt de faim, quand on ne sait pas lire, quand on manque d’affection. L’amour inscrit la liberté dans la durée.
La foi est le second agent de la liberté qui dure. C’est ce qu’explique Jésus à ceux qui renoncent dès la première difficulté venue. Les hommes de peu de foi que critique Jésus sont ceux qui n’ont pas suffisamment confiance en Dieu, c’est-à-dire ce qui a un caractère absolument sacré et pour lequel il faut se donner sans compter.
Être créateur, dans le prolongement de Dieu, ajouter de nouvelles couleurs à la vie, de nouvelles possibilités dans l’histoire des hommes, c’est une manière d’ajouter des degrés de liberté. Contre le fatalisme qui pense qu’il n’y a plus rien à faire, l’auteur de Qoheleth 3 déclare qu’il y a un temps pour tout, pour chaque chose. Vous voulez aimer ? Vous pouvez aimer. Vous voulez bâtir, vous pouvez bâtir. Vous voulez quitter une étreinte ? Vous pouvez la quitter. Il y a un temps pour chaque chose. À chacun de nous d’injecter de l’intelligence dans nos projets pour qu’ils se réalisent.
Et tout cela est possible par la parole. La parole est un art qui permet d’instituer la liberté, en dénonçant les menaces comme je l’ai fait, en révélant des domaines où nous pouvons nous investir et faire en sorte que notre liberté ne faiblisse pas. C’est la raison pour laquelle il faut militer pour la liberté d’expression, pour le dialogue, le débat. La censure qui est parfois employée pour nous protéger de paroles toxiques est aussi un moyen pour nous protéger des paroles qui libèrent. Priver quelqu’un de parole, c’est le contraindre à s’exprimer autrement ; le plus souvent ce sera par la violence. Libérons donc la parole pour se libérer des frustrations, des blessures et pour libérer le génie propre à chacun.
Responsabilité
Le sens de cette liberté qui structure les textes bibliques est la responsabilité. L’être biblique est un être responsable, qui répond aux sollicitations qu’il reçoit. Les personnages bibliques disent « me voici » pour répondre à l’appel que Dieu leur lance. C’est en étant libre qu’il est possible de répondre aux défis de notre époque comme Jésus le fit autrefois. À chaque situation, Jésus mettait sa liberté à profit pour penser la meilleure vie possible pour la personne qu’il rencontrait et qui ne conviendrait pas forcément à son voisin. N’oublions pas, comme le disait l’apôtre Paul, que si nous avons été appelés à la liberté, ce n’est pas pour vivre selon notre propre désir, ce n’est pas pour vivre de manière égoïste sur le dos des autres, mais pour avoir la possibilité de se laisser guider par l’amour (Galates 5,13). La liberté, ce n’est pas l’absence de contrainte ni de liens : nous pouvons être libres alors que nous sommes toujours soumis à la force de gravité qui nous empêche de voler dans les airs, qu’il nous faut toujours manger, boire et dormir. La liberté, c’est le fait de pouvoir identifier nos contraintes, nos liens, et de pouvoir choisir ce qui nous conviendra le mieux pour répondre à l’appel à la vie qui nous est personnellement lancé.
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Merci mille fois pour cette méditation libératrice et « créative » !