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Ne protégeons pas la Bible

 

La Bible n’a pas besoin de notre protection. Ce serait même une insulte à son encontre que de l’estimer trop faible pour supporter la critique. Parce qu’elle a une place cruciale dans la foi chrétienne et protestante en particulier (pensons au Sola Scriptura ou l’Écriture Seule, un des grands principes de la Réforme), parce qu’elle est censée nous faire connaître la parole de Dieu, certains sont tentés de ne pas trop l’exposer à la lecture historicocritique. Cette manière de lire les textes se penche sur l’histoire de la rédaction des textes, sur leur contexte de production, sur leurs destinataires. En décortiquant les textes minutieusement, cette méthode permet d’en apprendre beaucoup mais elle rend une lecture littérale intenable. Alors, à quoi expose-t-on réellement la Bible si l’on affirme qu’elle doit être étudiée et traitée comme les autres textes, religieux ou non ? Est-ce qu’elle perd son sens ? Est-ce qu’on s’en désintéresse ? Est-ce que rien ne change ? Différentes expériences sont possibles.

 L’expérience de Strauss : la perte de sens

David Friedrich Strauss (1808-1874), qui cherchait à déterminer ce qui dans les évangiles pouvait et devait être conservé, écrivait : « Venir en aide à ces âmes hésitantes est le devoir de quiconque se sent capable de le faire ; mais on ne le peut qu’en marquant nettement la limite entre les parties durables et les parties transitoires du christianisme, entre les vérités qui procurent le vrai salut et les simples opinions qui se sont figées dans le christianisme historique. Il faut avant tout procéder à la séparation de l’essentiel et du contingent ». Les vérités auxquelles Strauss fait référence ici concernent la personne de Jésus et son rôle dans le salut des hommes. Au début de son travail en 1835, il écrivait « l’auteur sait que l’essence interne de la croyance chrétienne est complètement indépendante de ces recherches critiques. La naissance surnaturelle du Christ, ses miracles, sa résurrection et son ascension au ciel, demeurent d’éternelles vérités, à quelque doute que soit soumise la réalité de ces choses en tant que faits historiques. Cette certitude seule peut donner à notre critique repos et dignité ». La critique est-elle sans danger pour l’élément central du christianisme que Strauss évoque ? En lisant ce que Strauss écrit en 1872, la réponse est claire : non, la critique n’est pas sans danger. En effet, dans L’ancienne et la nouvelle foi, Strauss revient sur ses propos et affirme que Jésus « ne peut en rien [servir au croyant] pour la vie pratique » car ce qui peut être identifié comme certain dans sa vie historique est trop léger. Le travail critique de la Bible auquel s’est livré Strauss l’a conduit à exposer des conclusions très éloignées des contenus traditionnels de la foi chrétienne. Strauss écrit « je n’ai nullement l’intention de discuter que Jésus ait été un homme excellent ; ce que je prétends, le voici : on l’a fait le centre d’une Église, d’un culte, non pas pour ce qu’il fut, mais pour ce qu’il ne fut pas ; non pas pour ce qu’il enseigna de vrai, mais pour des prédictions restées inaccomplies et par conséquent fausses » ou encore, « nous sommes empêchés de reconnaître Jésus comme le centre et le point d’appui de notre vie religieuse ». Que Jésus ne puisse plus être considéré comme le centre légitime de l’Église et du culte chrétiens et qu’il ne puisse plus être un appui dans la vie religieuse d’un croyant est une remise en cause essentielle du christianisme traditionnel. Même la croix n’a plus de sens pour Strauss, qui écrit que « l’humanité présente, satisfaite de vivre et d’agir, ne peut plus trouver dans un tel symbole l’expression de sa conscience religieuse ». La critique a semble-t-il attaqué et mis en pièces les contenus essentiels de la foi chrétienne que Strauss pensait à l’abri lorsqu’il a commencé son travail. Mais cette expérience n’est pas la seule possible.

 Des connaissances utiles

La méthode historico-critique n’est pas une menace pour la Bible, au contraire, puisqu’elle nous apporte des connaissances. En ne brimant pas notre intelligence et en laissant la critique explorer tous les champs possibles, nous apprenons ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, nous acquérons une sorte de cartographie de nos idées. Ici, elles sont certaines, là elles ne le sont pas, elles ne peuvent pas prétendre l’être. Auguste Sabatier (1839-1901), professeur à la faculté de théologie de Paris, l’écrit en ces termes : « En faisant apparaître une légende comme telle, en détruisant un préjugé, en démontrant l’incertitude de ce qui est incertain en effet, c’est-à-dire en nous faisant constater où finit notre savoir et où commence notre ignorance, [la critique] nous instruit toujours et sert efficacement la cause de l’histoire positive. N’est-il pas vrai que, grâce à elle, nous connaissons mieux l’histoire de la Grèce et de Rome, de l’Égypte et de l’Inde, de l’Islam et du Bouddhisme, de l’ancienne Chaldée et de notre Moyen Âge qu’on ne la connaissait aux XVIIe et XVIIIe siècles ?

De même, je n’hésite pas à dire que nous avons de l’histoire du peuple d’Israël, de la vie de Jésus et du siècle apostolique, une connaissance plus positive que celle qu’en avaient les pères de l’Église et les Réformateurs ». Au nom de quoi devrait-on se priver de toutes ces connaissances ? Faudrait-il que nous mettions des œillères quand nous lisons nos textes transmis depuis des siècles alors que tant de détails en leur sein aiguisent notre curiosité ? Les incohérences sont légion dans les récits évangéliques par exemple, or les auteurs étaient brillants, il ne s’agit pas d’erreurs. Nous serions bien rabat-joie si nous détournions le regard au lieu de nous plonger avec délectation dans cette invitation à la réflexion.

 La réalité ne peut être modifiée

La critique biblique cherche à qualifier les textes, à établir leur genre (récit de miracle, récit de guérison, parabole, etc.), à déterminer quels sont leurs auteurs, leurs destinataires, elle a pour objet les récits, non les faits. Lorsqu’un travail critique portant sur les récits de naissance en arrive à la conclusion que les textes narrant la naissance surnaturelle d’un personnage important sont courants dans l’antiquité et que les écrits de Matthieu et Luc reprennent des éléments de l’Ancien Testament pour insérer Jésus dans l’histoire du salut des hommes, la naissance même de Jésus est-elle modifiée ? Non. En revanche, l’image que nous en avons, elle, est modifiée. Auguste Sabatier écrit : « Sur quoi porte la critique ? Sur la réalité même des événements du passé ? Non, mais uniquement sur la représentation que nous nous en faisons. Elle ne peut pas modifier les faits en eux-mêmes, qui restent ce qu’ils ont été ; ce qu’elle modifie, c’est l’idée ou la connaissance que nous en avons. ».

Auguste Sabatier avait là une intuition que chacun devrait garder chevillée au corps : quelle que soit la méthode que nous choisissons pour lire ou étudier un texte biblique, quelles que soient nos intentions, nos réticences, ce que nous apprendrons ne changera rien à ce qui a été. Quand nous étudions un texte sur la résurrection, nous étudions bien un texte, un récit, non de la résurrection en elle-même. Il y a une forme de scientisme dans la volonté de faire équivaloir le fait et son récit : si la crédibilité historique du récit est affaiblie, le fait le serait aussi, et la foi également. Et bien non. Nous ne pourrons jamais saisir la réalité dans son entier, nous ne saurons pas grand-chose sur le Jésus historique, il demeurera comme une ombre (la lecture du roman L’ombre du Galiléen de Gerd Theissen est hautement réjouissante) et la foi s’en débrouillera très bien.

Lisons la Bible, étudions-la, décortiquons-la. Elle ne risque rien. Et pour nous, c’est une belle manière de rendre hommage au génie de ses auteurs.

 

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À propos Abigaïl Bassac

est titulaire d’un master de l’École Pratique des Hautes Études (section des sciences religieuses) et étudiante en master de théologie à Genève. Elle est assistante des enseignants à l’Institut Protestant de Théologie et directrice de la rédaction d’Évangile et liberté.

Un commentaire

  1. jmaig@dbmail.com'

    La réponse pourrait être : oui Le Christianisme n’est plus à la mode. En effet, l’humanité présente, satisfaite de vivre et d’agir, ne peut plus trouver dans un tel symbole, la croix, l’expression de sa conscience religieuse. Il reste l’étonnement devant la beauté ou la noirceur du monde, le bouleversement face à la vie pleine de sens ou au contraire absurde, la recherche de connaissance et de sens toujours remis en question.
    Est-ce une question de mode ou d’exigence d’authenticité ? La réponse est certainement dans la lecture de la Bible à la signification intemporelle que lui donnera son lecteur.

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