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Le dialogue avec la culture est nécessaire

On peut tenter de résumer ce qu’est le protestantisme en insistant sur deux verbes : résister et dialoguer. Résister : c’est le geste inaugural de Luther, lorsqu’il se dresse contre une Église qui a fait du salut un mot vide de sens pour le mettre au service de son propre intérêt. C’est le geste de ces galériens recrachant l’hostie alors qu’on tente de leur imposer la communion catholique. C’est, bien sûr, le geste de Bonhoeffer et de tant d’autres qui, à un moment ou un autre de l’histoire, ont su dire « non ». Mais le protestantisme, c’est aussi le dialogue : c’est Melanchthon (le bras droit de Luther) ou Calvin dialoguant avec la philosophie païenne dans laquelle ils n’hésitent pas à voir un don de Dieu à l’humanité. C’est Paul Tillich se consacrant à l’élaboration d’une « théologie de la culture », afin de montrer que « la culture est la forme de la religion, et la religion la substance de la culture ». Jacques Ellul, l’un des penseurs protestants francophones les plus influents du XXe siècle, est assurément de ceux qui ont voulu résister, dire non. Non à une société qui érigerait la technique et les « moyens » qu’elle met à notre disposition en fin de toute chose, au point d’en oublier l’essentiel : l’humain, sa liberté, son salut. Et, de ce point de vue, sa pensée demeure essentielle. Mais elle ne saurait à mon sens manifester toute sa valeur sans insister tout autant (et même un peu plus) sur la dimension du dialogue avec la culture et ses fonctions : les arts, les sciences, les lettres, la philosophie et… la technique ! Car à trop insister sur le rejet de la culture (en l’occurrence technicienne) au nom de la religion, on court le risque de basculer dans ce que Tillich appelle une « théologie de l’Église », c’est-à-dire une religion (et pas seulement chrétienne) qui se couperait du monde pour s’idolâtrer elle-même. C’est en dialoguant avec la culture au sens le plus large du terme que nous évitons la tentation du sectarisme – mais, comme nous le rappelle Ellul, c’est aussi en lui résistant, en en faisant une lecture toujours critique, que nous évitons de voir la culture (et donc la technique) devenir une réalité ultime. Si Dieu nous invite à dire « non », c’est pour nous rendre plus à même de recevoir son « oui » ultime et inconditionnel. Lors d’une rencontre avec le prédicateur évangélique Billy Graham, Karl Barth (l’un des maîtres d’Ellul) aurait reproché à ce dernier de faire de la conversion une nécessité et de négliger ainsi cette parole de l’Évangile de Jean : « Dieu à tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3,16). Et Barth de souligner : « le monde, Monsieur Graham ! » C’est parce que Dieu aime le monde, c’est parce qu’il lui offre le oui ultime de sa grâce inconditionnelle en Jésus-Christ que, parfois, il nous appelle à dire non au monde – et non l’inverse.

A lire l’article de Jean-Philippe Qadri « Jacques Ellul et la question des moyens »

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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