Ce récit de Jérémie chez le potier peut nous donner de quoi tenir face à tout ce qui, par bien des manières, nous expose au déracinement, au renversement, à la destruction. Et non seulement tenir, mais aussi vivre et vivre bien, pleinement. Jérémie connaît l’être humain, c’est une bonne qualité pour un prophète. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas très optimiste quant à la capacité humaine à se réformer. Les mots qu’il met dans la bouche du peuple au verset 12, « chacun de nous agira selon l’obstination de son cœur mauvais », témoignent de ce que le prophète considère comme la voie directe vers Babylone.
Le livre prophétique témoigne d’abord de la crainte de l’anéantissement (du fait des menaces politiques) puis de l’amer regret de la déportation. Le rêve de retour à la terre originelle se retrouve, in nuce, dans l’ordre donné par Dieu : « Lève-toi et descends » (v. 1), qui semble une clef de lecture du texte. « Lève-toi et descends », deux mouvements apparemment contraires (un mouvement ascendant et un mouvement descendant), un nœud qui pourrait nous aider à remonter la corde de ce passage.
Le premier des deux verbes, koum, est un verbe de sursaut et d’éveil. On le retrouvera dans l’ordre donné par Jésus à la fille de Jaïros : talitha koumi (jeune fille, réveille-toi !). Le second est un verbe de descente. Les deux verbes peuvent être lus au sens propre ou au sens figuré, dans une perspective géographique ou spirituelle. Se lever et descendre. Si, à l’orée d’une révélation divine, l’Éternel donne cette consigne à Jérémie, on peut imaginer qu’elle vaut aussi, en partie, pour nous. Précédant l’exil à Babylone dans sa narration, le texte insiste sur la techouva (retour ou conversion). Retrouver le pays des pères est à ce prix. Il s’agit à la fois de se mettre en mouvement et d’approfondir sa présence à la Présence. Il s’agit à la fois d’être ouvert au souffle et d’être sorti du sommeil…ou de vivre « en esprit et en vérité » (Jn 4,24). C’est à cette double condition d’éveil et de profondeur que le prophète reçoit une révélation de la part de Dieu.
Dans la suite du récit, Dieu se révèle comme potier. Et on doit commencer par reconnaître le caractère gênant, presque repoussant, de ce Dieu-là. Un Dieu qui nous modèle comme des poteries (ou des potiches !), qui jette les œuvres ratées, qui range celles qu’il agrée sur une étagère. Un Dieu, finalement, auquel on ne croit pas trop. À moins de considérer que les peuples sont punis pour ce qu’ils font de mal et épargnés s’ils agissent conformément aux volontés divines. Difficile à croire quand on voit le sort de certains peuples martyrs de notre monde contemporain. Mais si on continue à voir ce texte comme une formidable métaphore de la vie spirituelle, le tour du potier prend un autre sens. Ce tour est l’endroit où je peux être en contact avec Dieu. L’endroit qui me demande, pour que j’y accède, d’être à la fois lucide et profond. L’endroit où je peux cent fois recommencer, avoir l’impression de rater, mais être toujours pourvu de la même argile humaine et de la même aide divine pour recommencer.
Il s’agit de ne pas dévier, sinon la casse est inévitable. Et Dieu, dans le texte, énonce sans détour ses menaces : déraciner, démolir, faire disparaître. On peut lire cet avertissement dans une perspective politique et se demander comment les peuples qui blasphèment sont punis…ou pas. Mais on peut aussi lire le texte à la lumière de la réforme de Josias, ce roi de Juda qui ordonne la lecture publique du Livre au Temple et expurge la religion de tout culte qui n’est pas celui du Dieu unique – un protestant avant l’heure ! Tout ce qui ressemble à une idole en nous, à une quête d’intermédiaire illégitime, tout cela est menacé de destruction. Josias supprime aussi les synagogues pour ne laisser que le Temple. Tout comme le croyant doit supprimer, sans relâche, tout ce qui n’est pas central pour revenir à la Jérusalem intérieure.
Pour faire un don, suivez ce lien