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Le Liban est loin d’être un pays laïc

 

Emmanuel Macron propose que le Liban se déclare « État laïc » pour sortir de la crise politique. Qu’en pensez-vous ?

En tant que franco-libanais, j’en rêverais bien sûr ! Mais il y a du travail. Vu la situation, la culture, l’histoire, le Liban est loin d’être un pays laïc. C’est même un pays très religieux, où la religion est ancrée dans la Constitution. On ne peut pas être président de la République si l’on n’est pas maronite, et on ne peut pas être premier ministre sans être musulman sunnite. Les Libanais sont-ils prêts à un régime laïc ? C’est la première fois qu’on en parle. Les religieux et ceux qui ont le pouvoir craignent de perdre leur autorité. À chaque fois que je retourne au Liban, je ne trouve pas que cela s’améliore.

 Comment voyez-vous la transition politique en cours au Liban ?

C’est très compliqué. Pour comprendre la situation actuelle au Liban, il faut se rappeler l’histoire récente. Après avoir pris son indépendance de la France en 1943, le Liban a connu une période prospère et pacifique dont se souviennent les anciens. Puis le Liban a connu plusieurs guerres, qui ont engendré des états de stress post-traumatique. Les Palestiniens ont d’abord voulu prendre la place des chrétiens. Israël s’est installé en Palestine et a causé un afflux de 120 000 Palestiniens à partir de 1948. Il y a eu des guerres atroces, comme le massacre de Sabra et Chatila en 1982, contre des centaines de Palestiniens par des milices chrétiennes, des conflits (1975-1990) qui se sont transformés en guerres de religion : les musulmans du Liban soutenaient les Palestiniens musulmans et cela a engendré de nombreuses milices de part et d’autre. Les chrétiens ont fait de même pour défendre leurs terres, parfois en prenant les fusils utilisés pour chasser les oiseaux. J’avais six ans. J’ai vu des choses affreuses : un Palestinien traîné nu jusqu’à ce que mort s’ensuive. Des chrétiens ont fait cela, pour répondre aux atrocités que faisaient les Palestiniens.

Quand je suis arrivé en France, je me suis rendu compte de toutes les atrocités que j’avais vécues. Et si on ne les traite pas, nous avons du mal à nous en sortir, à communiquer, à construire. Nous sommes dans un état de stress permanent. Or les guerres ne se sont jamais arrêtées.

Parmi les chrétiens, plusieurs milices se sont constituées, dont celle des Forces libanaises, dont le chef se nomme Samir Geagea. C’est une milice armée qui est devenue un État dans l’État. Elle prétendait défendre les chrétiens en Orient en échange des taxes prélevées. Les conflits n’ont jamais cessé, entre Israël qui a occupé le sud du Liban et la Syrie qui a occupé une vaste étendue, la Békaa. Ne restait libre que le Nord du Liban, le mont Liban, et Beyrouth, divisé en deux, l’Ouest pour les musulmans et l’Est pour les chrétiens.Les Libanais appartiennent plus à leur communauté qu’au Liban en tant que nation. Le Hezbollah chiite est associé à l’Iran. Les sunnites sont liés à l’Arabie saoudite. Les chrétiens sont liés à la France, à l’Occident, au pape, les orthodoxes, à la Russie. C’est encore un cercle vicieux, car les Libanais font plus confiance à leurs chefs religieux qu’aux responsables de l’État.

Les chefs des milices gardent leur pouvoir sur leurs “fidèles”, qui espèrent en retour obtenir des faveurs, des privilèges par leur intermédiaire. Ces gens qui ont le pouvoir sont si corrompus qu’ils n’hésitent pas à transgresser la loi, pour obtenir des papiers, pour évaluer un appartement, etc. La corruption est tellement ancrée qu’on se demande comment en sortir.

Voyez-vous des signes d’espoir ?

Quand j’interroge des membres de ma famille au Liban, ils ont l’impression d’être dans une catastrophe jamais vue au Liban, avec l’effondrement sans précédent de la livre libanaise, qui n’a plus de valeur. Mais s’il y a une évolution, elle ne peut venir que des jeunes gens qui manifestent actuellement. Ils ont pris conscience du communautarisme et veulent vraiment un pays laïc. C’est ce que l’on espère. Avec Internet, les réseaux sociaux, ils sont beaucoup plus informés que nous ne l’étions il y a vingt ou trente ans.

Propos recueillis par Raphaël Georgy

 

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À propos Charbel Aoun

franco-libanais d’origine maronite, vit en France et est récemment devenu conseiller presbytéral à la paroisse de l’Oratoire du Louvre à Paris.

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