L’homme insensé Luc 12,13-21

Les chamailleries autour d’un héritage ne sont pas chose nouvelle. Mais dans le passage de l’évangile de Luc 12, 13-21, il ne s’agit que d’une accroche pour amener à voir plus loin que le bout de notre nez. En effet, la demande de l’inconnu qui interpelle Jésus est étrange, puisque l’héritage ne se partageait pas à part égale au sein de la fratrie à cette époque : l’aîné recevait le double, parce que c’était à lui de diriger le clan. Et, dans le cas présent, nous ne savons pas si cet homme est l’aîné ou le cadet de sa fratrie. Mais cela n’a pas d’importance, puisque finalement la vraie question n’est pas de savoir si Jésus doit intervenir ou non dans un partage d’héritage. La vraie discussion se fait autour de la vraie richesse, celle de la vie. C’est pourquoi Jésus de Nazareth raconte cette parabole, appelée la parabole du riche insensé.

Le personnage principal est un homme qui a amassé assez de nourriture, parce que sa terre lui a beaucoup rapporté et il décide de construire des greniers plus grands. À première vue, cet homme ne semble pas insensé. À notre époque, on dirait même qu’il est prévoyant. Cet homme me fait penser à la fourmi dans la fable de Jean de la Fontaine. Tout comme la fourmi, il fait attention aux biens qu’il a reçus. Il est aussi comme le Pharaon qui écoute Joseph (Gn 41,1-36) et qui fera des réserves justement en prévision de l’avenir. Cet homme travaille et ne dilapide pas la fortune qu’il a reçue. Il semble donc être sage et prévoyant. Et normalement dans la Bible, les sages et les prévoyants sont plutôt bien vus. Pourtant dans cet exemple, l’homme est décrit comme quelqu’un de tout sauf sensé. En effet, même s’il était riche, il n’est pas riche en Dieu, dit le texte. Cela signifie qu’il a oublié de vivre. Il a tout prévu ou presque. Il n’avait pas prévu qu’il pouvait mourir à tout moment. Bien au contraire, il a pensé à l’avenir sans jouir des résultats de son travail. Jouir de ses biens ne veut pas dire tout dilapider. Jouir de ses biens, c’est prendre conscience de son humanité et donc de sa mortalité. Ainsi cet homme est insensé parce qu’il n’a pas trouvé le sens de la richesse de la vie. Il a préféré se concentrer sur son revenu et sa richesse matérielle. Il a tout simplement oublié de vivre. Et c’est justement ce que Jésus est venu annoncer : la bonne nouvelle, c’est le sens de la richesse de la vie. Ce sens ne va pas nous rendre immortels ou nous protéger contre les difficultés qui arrivent, mais la bonne nouvelle nous permet de comprendre la valeur la vie, d’en prendre soin et de la partager.

Mais il est vrai qu’à notre époque, certains courants chrétiens disent que quand on est de bons croyants, tout nous réussit, et que lorsqu’il arrive un malheur dans notre vie, c’est Dieu qui nous punit. Cette parabole nous dit justement tout le contraire ! La bénédiction de Dieu ne se mesure pas à la réussite sociale ou financière. La non-bénédiction de Dieu ne se mesure pas à nos échecs, à la maladie ou à la mort. La bénédiction de Dieu se mesure aux bienfaits que nous recevons en nous : la sérénité, la joie, l’amour et le partage. Savoir qu’à chaque instant de notre vie nous sommes accompagnés, pouvoir partager ce que nous vivons avec les autres et compter les uns sur les autres, c’est une bénédiction. C’est cela aussi le vrai bonheur. Le vrai bonheur, la vraie richesse n’est pas sucrée ou confortable. La souffrance fait partie de la vie. La pandémie que nous vivons le montre bien : personne n’est à l’abri de la maladie, de la pauvreté ou de la tristesse. Mais la vraie richesse, le bonheur dont parle Jésus dans ce texte de Luc, c’est autre chose. La vraie richesse c’est d’être libre, de profiter du moment présent et de jouir de la vie tout en partageant le fruit de notre travail et en étant solidaires les uns avec les autres. C’est cela le vrai trésor que Jésus de Nazareth nous invite à vivre dans notre vie.

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