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4. Se former pour ne pas se conformer

 

Le conseil presbytéral exerce un ministère collégial au service de l’Église locale. Comme pour tout ministère, ses membres doivent être discernés, appelés et bien sûr formés avec soin et exigence. C’est d’ailleurs à cette formation que s’engagent les conseillers, lors du culte de reconnaissance de leur ministère : « Vous poursuivrez votre formation spirituelle, théologique, humaine. Ainsi, vous aurez a  cœur de renouveler l’élan de votre ministère. » Sans cette formation permanente, le conseil risque de n’être plus qu’une instance administrative, uniquement préoccupée de bonne gestion et de questions matérielles. Certes, ces responsabilités doivent être également assumées et le mieux possible, mais sans jamais perdre de vue leur finalité qui est la mission de l’Église. Les décisions des conseils presbytéraux en la matière ne seront donc pas dictées seulement par des impératifs de rentabilité, d’économie, d’efficacité.  Elles seront d’abord orientées, pensées, réfléchies en fonction de motifs théologiques et ecclésiologiques. Cette formation des conseillers presbytéraux peut se déployer dans de multiples directions. Je voudrais en souligner trois aspects.

 L’Église dans la société

Le premier concerne l’existence de l’Église dans la société. Pour les pouvoirs publics, le conseil presbytéral constitue le comité directeur de l’association cultuelle. Il représente la paroisse aux yeux des autorités civiles, religieuses, associatives… Il est donc amené à réfléchir concrètement à la place et au rôle de l’Église au sein de la cité, dans le cadre de ses lois (notamment celles de 1901 et 1905). Garant de leur respect, le conseil doit les connaître, les comprendre et rappeler qu’elles ne sont pas seulement (même si cela peut arriver) des contraintes et des tracasseries réglementaires auxquelles il faudrait servilement se conformer. Ce sont des dispositions législatives et jurisprudentielles qui garantissent le libre exercice public du culte. Le conseil presbytéral doit par conséquent les penser, à la fois d’un point de vue citoyen et sur le plan théologique. Elles sont la marque de l’incarnation de l’Église dans l’histoire, le signe de sa solidarité avec la communauté humaine, les conditions de son témoignage en paroles et en actes. Le conseil presbytéral aura à leur égard une attitude de « loyauté critique » (pour reprendre les mots du Synode national de 1998). Il appliquera ces règles sociales, il en analysera les enjeux. Il pourra être aussi amené à critiquer certaines de leurs interprétations ou de leurs mises en œuvre et, le cas échéant, à interroger leurs éventuels projets de modifications. Je pense notamment aux débats actuels concernant la laïcité et la place des religions dans l’espace public. Ces discussions et réflexions se situent à l’articulation du juridique et du théologique et le conseil presbytéral ne saurait s’en dessaisir.

 La responsabilité du conseil presbytéral

Le deuxième aspect est lié à la responsabilité toute particulière du conseil presbytéral quant aux modalités qui structurent la vie ecclésiale. Il est, en effet, un rouage essentiel du régime presbytérien synodal. Chargé du gouvernement de la paroisse, il est en relation organique avec les synodes et les instances qui en sont l’émanation (conseils régionaux et conseil national). Les conseillers doivent donc bien connaître les règles de vie commune de l’Église (Constitution, règlements divers…), les mettre en œuvre, les respecter et les faire respecter. Les conseillers devront bien comprendre, et souvent expliquer à la communauté que ces textes, qui peuvent parfois paraître un peu rébarbatifs, ne sont pas facultatifs ni subsidiaires. Ils expriment, dans le langage juridique du droit ecclésial, des convictions ecclésiologiques et théologiques. Ils n’ont d’autre but que d’organiser l’Église sous l’autorité de Dieu, en vue de sa mission : « annoncer au monde l’Évangile » 1. Cela ouvre un vaste champ d’apprentissage au « vivre ensemble » ecclésial, nourri de réflexions de fond sur l’autorité et le pouvoir, la liberté individuelle et l’institution, les rôles respectifs du presbytéral et du synodal, l’articulation entre les différents ministères avec leur spécificité… Pour les conseillers presbytéraux, méconnaître ce travail ecclésiologique critique, c’est s’exposer, et exposer la communauté, aux dérives autoritaires et centralisatrices, aux abus de pouvoir, aux ambitions personnelles, au cléricalisme, voire au « dénigrement populiste des institutions » 2. Afin de mener à bien cette tâche, les conseillers ont la possibilité de se former à des outils issus de la société. Ils peuvent être des aides précieuses pour construire et conduire un projet, accompagner les changements, animer un groupe, gérer des conflits, éviter l’amateurisme dans les processus de décision… Sans toutefois oublier que ce ne sont là que des méthodes, venues souvent du monde de l’entreprise, dont les logiques ne sauraient se substituer aux principes ecclésiologiques et théologiques qui portent la vie de l’Église.

 Une intelligence de la foi

Le troisième aspect de la formation c’est, plus largement et fondamentalement, le travail biblique et théologique compris comme intelligence de la foi. C’est, en protestantisme, la responsabilité de tous. « Le Christ, écrit Luther, enlève aux évêques, savants et conciles, le droit et le pouvoir de juger la doctrine pour les donner à chacun et à tous les chrétiens en général. Là où nous avons pour nous la Parole de Dieu, c’est à nous, et non pas à eux, de juger si c’est juste ou injuste ; et ils doivent s’effacer devant nous et obéir à notre parole. »3 Moins que d’autres, le conseil presbytéral, qui exerce un ministère, ne peut se soustraire à cette tâche théologique. Nous sommes, en effet, « tous théologiens » 4, appelés à penser notre foi et à en rendre compte dans des mots compréhensibles pour nos contemporains. Cette intelligence de la foi, à l’écoute de la Parole, requiert un dialogue permanent avec la culture et les savoirs contemporains, en acceptant le défi d’une interpellation critique réciproque. Dans cette démarche de théologie pratique, il importe de mettre le référentiel biblico-théologique en corrélation avec les réalités et  situations concrètes, afin de prendre en charge les préoccupations existentielles des femmes et des hommes de ce temps : celles qui se font jour dans l’Église, sur ses marges, dans la société, et dont certaines sont totalement inédites. Le conseil en mesurera les enjeux, en évaluera la pertinence, afin qu’elles soient prises en compte dans le projet de vie d’Église qu’il a la responsabilité d’élaborer et de mettre en œuvre. C’est dans cette même perspective qu’il envisagera les sujets mis à l’ordre du jour des synodes, afin d’apporter sa contribution à leurs réflexions et décisions, ainsi qu’il est tenu de le faire.

Par ailleurs, cette formation théologique lui permettra aussi de remplir, collégialement, avec le pasteur, une fonction « pastorale ». Ainsi, dans le champ de la prédication au sens large, il peut être appelé à s’exprimer sur une situation ou un événement survenus dans la ville ou la région. Son intervention publique devra alors être réfléchie et discutée au sein du conseil afin qu’elle soit portée en son nom comme une annonce du message évangélique au cœur de l’actualité. Cette formation soutiendra aussi son ministère d’unité. Une unité dans et par la diversité qui requiert de discerner les divers points de vue et sensibilités au sein de la communauté, de les écouter, de les comprendre. Cela lui permettra de mieux analyser certaines tensions en repérant ce qui relève de différences théologiques, et ce qui est de l’ordre de différends personnels.

Cette tâche de formation des conseillers presbytéraux ne saurait toutefois se limiter à une accumulation de savoirs et à une démarche intellectuelle. Elle se nourrit aussi d’écoute de l’Évangile et de prière. Ce ressourcement spirituel est pour le conseil une source de renouvellement et de confiance dans son ministère, un appel à vivre la responsabilité qui lui a été confiée sous l’autorité et la grâce de Dieu.

1 Constitution de l’Église protestante unie de France, Titre I,
Article 1, § 1.
2 Bernard Reymond, « Le fonctionnement de l’autorité dans les
Églises réformées et son rapport aux Écritures », in : Démocratie et
fonctionnement des Églises, Paris, Van Dieren éditeur, p. 35.

3 Martin Luther, Qu’une assemblée ou communauté chrétienne
a le droit et le pouvoir de juger de toutes les doctrines… (1523),
OEuvres, IV, Genève, Labor et Fides, 1958, pp.82-83.
4 Raphaël Picon, Tous théologiens, Paris, Van Dieren éditeur,
2001.

 

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À propos Michel Bertrand

Après différents ministères dans le Sud-Est, le pasteur Michel Bertrand 3 a été président du Conseil national de l’Église réformée de France puis professeur de théologie pratique à la faculté de théologie protestante de Montpellier.

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