2019 est l’année des 500 ans de Théodore de Bèze (1519-1605). Pour ceux qui connaissent encore son nom, l’image du « successeur » de Calvin est généralement assez négative. Celui que le fameux Mur des Réformateurs de Genève représente sous les traits d’un auguste vieillard est souvent considéré comme le père de l’orthodoxie calviniste et l’inventeur du supralapsarisme – la version la plus radicale de la doctrine de la double prédestination de Calvin. Il fut aussi, entre autres, le pourfendeur de Castellion, justifiant le droit des magistrats à pourchasser les hérétiques. Pourtant, Bèze ne fut pas toujours ce vieillard menaçant aux idées inquiétantes. Un tableau exposé au Musée d’histoire de la Réforme de Genève le représente ainsi, jeune encore, prenant une pause suave avec, entre ses mains, une fine paire de gants. La posture, l’allure ne sont pas celles d’un théologien mais bien celles d’un jeune noble ami des Muses. C’est le Bèze à la fois poète, historien et satiriste. Historien, Bèze le fut en compilant la première histoire des Églises réformées de France qui parut en 1580. Malgré une théologie bien arrêtée, il fut aussi un exégète accompli qui rechercha, par souci humaniste, à consulter les manuscrits anciens afin de corriger le texte grec du Nouveau Testament. En 1562, il sauva ainsi des flammes d’un couvent lyonnais un codex du IVe siècle qu’il offrit ensuite à l’Université de Cambridge. Ce manuscrit s’y trouve toujours conservé sous le titre de Codex Bezae et est considéré comme l’un des plus importants témoins du texte du Nouveau Testament grec. Contrairement à l’image habituellement donnée de lui, Bèze savait aussi rire, surtout quand il s’agissait de se moquer des « papistes ». Un jeune historien genevois lui a ainsi attribué récemment un pamphlet anonyme publié en 1560 et intitulé Les Satyres chrétiennes de la cuisine papale. Le lecteur du XXIe siècle rit encore en découvrant l’arrière-boutique des mauvais plats cuisinés par le pontife. C’est que Bèze, avant d’être tout cela (théologien, exégète, historien) avait été poète – et le resta. En 1550, il publia son Abraham Sacrifiant, l’une des plus belles pièces du théâtre de la Renaissance. Il y confiait : « de mon naturel, j’ai toujours pris plaisir à la poésie et ne m’en puis encore repentir ». Car Bèze taquina la muse sa vie durant. Calvin ne s’y trompa pas, en lui confiant la tâche de terminer la mise en vers des Psaumes en français qu’avait entamée Clément Marot. Mais Bèze, c’est un fait, préférait les vers latins, souvent profanes. Il faut dire qu’il avait publié, à l’âge de vingt-neuf ans, des Poemata qu’il ne renia jamais et continua à revoir jusqu’en… 1597, alors qu’il était âgé de soixante-seize ans et était devenu, de son vivant-même, un « monument » de la Réforme. Ces poèmes latins ne sont pas anodins : s’y inspirant du poète antique Catulle (auteur, entre autres, de poésie érotique), le jeune homme, qui ne sait pas encore qu’il deviendra cette figure intimidante du « successeur de Calvin », y chante la joie et l’amour – y compris charnel. Bèze, que l’on se le dise, savait évoquer, même fugacement, le plaisir physique partagé. Il n’était d’ailleurs pas ignorant des jeux de mots dont son nom pouvait être l’objet. Ainsi, il lui arriva de publier un traité anti-luthérien sous le pseudonyme de « Nathanael Nesekius », de l’hébreu nâshaq : littéralement « baiser ». Bref, Bèze savait rire de lui-même, ce qui, pour un théologien, n’est pas la moindre des vertus.
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