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Le Jugement dernier selon l’évangile de Matthieu « De surprise en surprise »

Le récit du Jugement dernier au chapitre 25 de l’évangile de Matthieu fait problème. En effet, l’affirmation que notre salut dépend uniquement de nos actes de charité contredit d’autres passages du Nouveau Testament qui proclament le salut par la foi ou annoncent la rédemption finale de toute l’humanité. Autre difficulté : l’image des brebis et des chèvres dissone avec l’appel à la conversion qui traverse la prédication de Jésus. Ce qui naît chèvre ne peut devenir brebis, tandis que Jésus nous dit que des impies peuvent devenir ses disciples.

Il convient donc d’envisager ce texte, non comme un enseignement portant sur la fin des temps, mais comme une parabole, un récit qui n’a pas nécessairement valeur de réalité ou de norme, mais qui recèle une vérité profonde. On découvrira alors une parenté entre ce texte et la parabole de Lazare et du mauvais riche, qui, elle aussi, décrit l’au-delà en termes métaphoriques.

La stupéfaction que Jésus prédit devient impossible par le fait même qu’il l’annonce. Aucun lecteur de la Bible ne peut plus lui demander : « Seigneur, quand t’avons-nous secouru ? », puisqu’il a déjà répondu à cette question. La grande surprise n’aura pas lieu à la fin des temps : elle se situe dans l’ici et le maintenant, pour tous ceux qui entendent Jésus exprimer deux vérités renversantes : sa solidarité avec les plus démunis et le salut par des œuvres de charité.

Nulle part dans le Nouveau Testament l’abaissement du Christ n’est si fortement exprimé qu’ici. L’apôtre Paul le dit magnifiquement au chapitre 2 de l’épître aux Philippiens, mais seulement à propos de sa vie terrestre, avant laquelle il était « en forme de Dieu », et après laquelle Dieu « l’a souverainement élevé ». Matthieu va plus loin : le Christ ne s’est pas seulement incarné pour un temps en un « esclave » ; il partage les souffrances des plus petits de ses frères jusque dans l’éternité, s’identifiant aux indigents, aux réfugiés, aux malades et aux prisonniers de tous les temps. Voilà qui devrait bouleverser le regard que nous portons sur la personne du Christ aussi bien que sur les malheureux dont il est le paradigme.

Ce changement de regard modifie aussi notre propre relation à ceux qui souffrent : Jésus ne nous demande pas, ici, de travailler au salut de leurs âmes, mais à l’amélioration de leur vie matérielle. Ce message bien peu « religieux » interpelle aussi bien les légalistes qui s’imaginent qu’ils gagneront le ciel par leur respect scrupuleux des rites et des règles, que les spirituels qui croient qu’ils seront sauvés par la foi seule.

Le cadre de la parabole est emprunté à la tradition apocalyptique juive : le roi de gloire, les anges, les brebis et les chèvres, le jugement, la félicité des justes et le châtiment des réprouvés. Il serait faux d’en conclure que Jésus adhère à ces clichés qui font partie du fonds culturel de son peuple. Le sens de la parabole est ailleurs, dans l’écart entre ce que les humains s’attendent à entendre et ce qui leur est dit. Sans faire mention ni de la loi, ni de la foi, elle affirme que l’humain sera sauvé par les plus prosaïques de ses bonnes œuvres.

Jésus ne craint ni le paradoxe, ni la contradiction, car la Vérité qu’il annonce est au-delà de notre logique. La parabole du Jugement est un procédé pour nous dire avec force une vérité négligée, soit l’importance primordiale des actes de charité. Sans doute, pour le croyant, ces gestes sont liés à la foi, qui en est la source et y trouve sa démonstration. Mais, dans le passage qui nous intéresse, ce n’est pas de ce lien que Jésus s’occupe.

Discernons-y plutôt l’affirmation, d’autant plus saisissante qu’elle est placée en conclusion de son ministère, de la fraternité et la solidarité du Christ avec tous ceux qui souffrent, ainsi que l’appel qu’il nous adresse à les secourir. Et découvrons en quoi les deux commandements du sommaire de la loi n’en font qu’un : aimer – en actes ! – son prochain, c’est aimer Dieu, en la personne de son Fils. De même qu’aimer Dieu, c’est aimer son prochain

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À propos Philippe De Vargas

licencié en Lettres, directeur de collège à la retraite, théologien amateur, est membre de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud, dans laquelle il a occupé diverses fonctions.

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