Une « injure » – l’étymologie l’indique– est toujours une forme d’injustice (latin : injuria). C’est effectivement une injustice de réduire la personne à qui l’on dédie tel ou tel nom d’oiseau à un défaut qu’elle a manifesté à un moment ponctuel de son existence, et de la figer dans cet instant regrettable, comme si elle devait y demeurer toute sa vie, voire l’éternité,sans espoir de progrès ni de conversion.Les enfants sentent bien cette faculté qu’a l’injure d’immobiliser la personne : « Tu n’es qu’un idiot », rien d’autre et pour toujours.Mais l’injure est peut-être une injustice plus pernicieuse qu’on ne croit : qui sait si le défaut d’autrui qu’elle met en épingle, qu’elle amplifie à l’excès, ne dissimule pas une louange cachée ?
Prenons un exemple : « andouille ». Au sens propre et comestible du mot, une andouille est une spécialité charcutière : un hachis de tripes de porc ou de veau bourré dans un boyau de porc. L’injure « andouille » comporte ainsi un certain nombre de synonymes ou para-synonymes: merguez, saucisse à pattes, etc. En revanche, le mot si musical chipolata, de sens pourtant voisin, n’est jamais, semble-t-il, utilisé de façon péjorative.
Traiter d’andouille quelqu’une ou quelqu’un (car les attributs sexuels d’une andouille sont peu visibles), c’est donc le ou la réduire à n’être qu’un tube digestif. À l’intérieur du bel habit de peau que Dame nature nous a offert à notre naissance, il n’y aurait que de la tripaille.
Mais il ne faut pas se fier aux apparences.Certes, l’andouille n’est que viande, mais, me dit-on, viande très savoureuse. L’andouille cache donc bien son jeu : sous son enveloppe modeste comme la robe de bure d’un moine mendiant, se dissimule, paraît-il, un trésor gastronomique.Traiter une personne d’andouille,c’est donc (croyez-moi sur parole) célébrer sa grande modestie qui recèle sous une humble apparence des trésors d’humanité, peut-être aussi de spiritualité, qui sait ?
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