La formule que Jean met dans la bouche de Pilate est mondialement connue. Son auteur présumé n’a pas fait carrière et a laissé le souvenir d’un homme médiocre. La formule qu’on lui prête le dépasse certainement ! Pourquoi cette formule « Voici l’homme » nous marque-t-elle si profondément alors que Jésus, ici qualifié d’homme, est dans une situation que personne ne lui envie ? Les quatre évangiles s’accordent pour dire que Jésus a été trahi par Judas. Ensuite Jésus a été renié par Pierre. Pourtant, Judas le trésorier et Pierre sont les apôtres les plus en vue du groupe, les hommes de confiance. À Getshémané, Jésus ressent « tristesse et angoisse » (Mt 26,37), Marc dit « frayeur et angoisse » (Mc 14,32). Les évangiles synoptiques relèvent que si Jésus pouvait éviter le supplice, visiblement il le ferait, mais dans ces trois évangiles, Jésus insiste sur le fait que doit s’accomplir la volonté du Père. Chez Luc, la peur de Jésus est telle qu’il transpire du sang. Angoisse, peur, abandon et trahison caractérisent en partie l’état d’esprit de Jésus.
L’arrestation ne se passe pas sans violence, puisqu’un disciple (Pierre, chez Jn 18,10) coupe l’oreille du serviteur du Grand Prêtre. Cette violence ne cadre pas avec l’ensemble du discours de Jésus. Ensuite, Jésus arrêté comparaît devant le Grand Prêtre où il est giflé, battu et tourné en dérision par ses gardes. Dans les synoptiques, Jésus est accusé devant Hérode, méprisé, ridiculisé et revêtu de la tunique, attribut royal. Chez Jean, le manteau royal est mis sur les épaules de Jésus avec la couronne d’épines. Jésus qui vient d’être fouetté et violenté par les soldats, a subi son premier supplice, au cours duquel beaucoup mouraient.
Le choix s’impose ici : libérer ce roi fantoche mais énigmatique ou le crucifier à la demande du peuple qui, après la trahison, le reniement et le silence des autres disciples, laisse Jésus seul, face à son destin. C’est là que Pilate dit cette phrase : « Voici l’homme », trahi, battu, sanguinolent, ridicule avec son manteau et sa couronne. Cet homme, effrayé, angoissé, abandonné et méprisé va être crucifié, nu, car les crucifiés étaient nus. La honte finale et la souffrance physique, insoutenables, viennent finir cet épisode qui nous dit l’homme. Car Pilate a raison dans sa parole ! Ici, l’homme est l’homme dépouillé, au niveau zéro de l’humain pourrait- on dire. Il ne compte plus pour personne et il va mourir. Or, Jésus ici, est l’homme qui, mis à nu, sans relation à rien, ni personne, va mourir de la dernière des morts, pour rien, si ce n’est pour que les hommes vivent de l’essentiel, c’est-à-dire d’un amour total qui va jusqu’au bout des possibles.
Jésus meurt ici pour les autres, pour l’autre, pour nous, pour moi. La faiblesse qui s’exprime là, dévoile la force inouïe d’un amour qui nous dépasse. C’est la kénose, l’abaissement de Dieu en Jésus-Christ. « Voici l’homme », cette parole résonne en nous, car au fond, nous savons bien que tout ce qui est du paraître, pouvoir, richesse, orgueil, violence, etc. ne fait pas l’humain. La relation à l’autre dans un esprit de vie, de justice et d’amour est ce qui fait l’homme. L’homme s’exprime dans la main tendue au malade, dans le sourire au pauvre, dans l’accueil d’un enfant, dans l’émerveillement et la confiance, dans la culture et le don de soi.
Jésus, dans sa relation au monde et dans sa passion nous dit bien ce qu’est l’homme dans toute sa grandeur et la force de sa parole. Et si Pilate ouvre le débat : « Voici l’homme », c’est Jésus qui le clôt : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34) Il y a des récits, des vies et des paroles qui nous font saisir que le ciel touche la terre et que la dignité de l’être s’exprime dans l’« être – pour – l’autre ». On est loin de la super humanité du transhumanisme. C’est dans cet abaissement de Jésus que s’exprime en plénitude l’humain, un humain qui porte en lui l’agapé de Dieu. Dans notre finitude, résonne la formule de Pilate, et Jésus nous rejoint dans l’extrême de la vie pour que nous puissions vivre une vie d’éternité en étant les uns pour les autres : « l’être – pour – l’autre ».
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