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Abdelhamid ben Badis (1889-1940), la foi indépendante

 

Abdelhamid ben Badis

Abdelhamid ben Badis est né en 1889 au sein de la bourgeoisie de Constantine. Après des études à la Zitouna de Tunis, développant ses talents dans l’art du tasfir (l’exégèse), il revient dans sa ville natale en 1911 où – devenu chef de file des réformateurs – il fonde, en 1931, l’Association des Oulémas Musulmans Algériens qu’il préside jusqu’à sa mort, en 1940.

Convaincu des ressources de la raison, il exerce toute sa vie durant la double fonction de professeur et de polémiste. Dispensant ses cours à l’école coranique, il est aussi amené à diriger pas moins de trois journaux : al-Muntadiq puis al-Chihab, ainsi que la revue de l’Association, al-Baçair. Son enseignement révèle déjà sa relation à la modernité : là où auparavant le Coran était sèchement appris par cœur, il cherche désormais à expliquer la pensée coranique à ses élèves et défend, de surcroît, la scolarisation des jeunes filles.

Ses conceptions religieuses suivent le chemin de réforme tracé notamment par Mohamed Abdou ou Rachid Ridha. Sans être un des pères de ce courant réformateur, il en est une grande voix, cherchant à retrouver une foi plus proche des origines mais capable aussi de s’inscrire dans la contemporanéité arabe, l’intemporalité de la spiritualité comme gage de permanente modernité.

Ses convictions l’opposent au maraboutisme – « culte des saints » des populations rurales – comme aux tenants d’une religion figée et enserrée dans ses rigidités. Pour Abdelhamid ben Badis, la seule autorité réelle relève du Coran et de la Sunna, affirmée porteuse de tolérance : « Nous avons délaissé le Coran et avons établi des institutions et des conventions de notre invention, en abandonnant dans la plupart des cas le vrai monothéisme plein de tolérance, en faveur de l’extrémisme et du verbalisme. » Tolérance entre les musulmans eux-mêmes, refusant les conflits qui opposent sunnites et chiites.

Selon lui, revenir à sa source – par l’usage de la raison et confiant dans la révélation divine – doit mener à restaurer l’islam tel qu’il est profondément. De cette vision de l’islam, c’est encore lui qui en parle le mieux, dans un prêche daté de 1937 : « [L’islam] place sur un pied d’égalité, dans la dignité humaine et les Droits de l’Homme, les Hommes de toutes les races et de toutes les couleurs, (…) honore l’intelligence et appelle à construire toute la vie sur l’usage de la raison, (…) diffuse son message par l’argument et la conviction, non par la ruse et la force, (…) laisse à chaque communauté religieuse la liberté d’interpréter et d’appliquer sa religion comme elle l’entend, (…) prohibe l’asservissement et la tyrannie sous toutes leurs formes, (…) instaure la consultation comme fondement du pouvoir et ne permet aucune dictature même de la part du plus juste des hommes. »

Attaché à la liberté, ben Badis est un vibrant défenseur d’une nation algérienne fondée sur sa langue et sa foi, contribuant à lui donner conscience d’elle-même. Rejetant avec force l’oppression coloniale, il répète que « [la] nation musulmane algérienne n’est pas la France, elle ne veut pas être la France, elle ne peut pas être la France » mais professe aussi l’amitié vis-à-vis de cette France dont il veut se détacher sans pour autant renoncer à s’enrichir culturellement du contact de cet ailleurs privilégié que la violence de l’Histoire a lié à l’Algérie.

Refusant une indépendance « faite de feu et de sang », il demande des élections libres établissant un régime représentatif et démocratique garant du droit de chacun et, retournant l’argumentaire colonial qui vante l’apport supposé de la France à l’Algérie, rappelle cet apport plus grand encore de l’Algérie à la France qui légitime son désir de liberté : le sang des fils versé dans les tranchées de la Grande Guerre. Abdelhamid ben Badis incarne une foi où l’exigence de la fraternité et l’indépendance de la raison permettent de toujours rappeler que « l’Homme, collectivement et individuellement, est amoureux de la liberté par nature, parce qu’elle est la condition de sa perfection, et il est dans la nature de l’Homme de rechercher la perfection ».

 * Les citations sont issues de Ben Badis par lui-même, textes de cheikh Abdelhamid Ben Badis choisis et traduits par Ahmida Mimouni (les Éditions algériennes, 2000).

 

 

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À propos Maxime Michelet

est étudiant, diplômé d’un master d’Histoire contemporaine à la Sorbonne ; issu d’une famille de tradition athée, il a rejoint le protestantisme libéral à l’âge adulte à travers le temple de l’Oratoire du Louvre de Paris.

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