N’ayez de dettes envers personne, sinon l’amour » écrit l’apôtre Paul en Romains 13,8. Donne-t-il un conseil financier aux chrétiens de Rome ? S’agit-il d’une prophétie destinée aux gouvernants et en particulier à ceux de la zone euro ? Après tout, Paul écrit cette lettre depuis la Grèce ! Voit-il en avance ce qui va advenir dans ce pays ? Mais Paul n’est pas un économiste, ni un voyant extra lucide. Ce ne sont pas de dettes pécuniaires qu’ il parle ici, mais Paul emploie cette métaphore de la dette pour exhorter ses lectrices et lecteurs à vivre des relations libres et aimantes.
« N’ayez de dettes envers personne ». En écrivant ces mots à des lecteurs – lectrices toujours en quête de nouvelles expériences humaines et religieuses, Paul affirme : « Ne soyez redevable de votre vie à aucun être humain».
Pour tout ce qui donne sens à votre vie, signifie Paul, vous ne devez rien à aucune puissance humaine. Paul lance ici un appel à une liberté radicale à l’égard de toute prétention humaine à régenter de manière absolue la vie. Il ne s’agit pourtant pas, au nom de cette liberté, de nous couper des autres ; au contraire il s’agit ici de nous relier aux autres. Car cette liberté ne constitue pas une fin en soi : elle nous conduit à aimer.
Aimer ! C’est tout un univers qui s’ouvre quand résonne ce mot. Un univers riche en couleurs, en joies et peut être aussi en désillusions. Mais quand le verbe « aimer » s’inscrit dans les pages d’un livre biblique, pour bien le comprendre, il faut renoncer à une vision toute sentimentale de l’amour. C’est peut-être un peu surprenant, mais dans les textes bibliques, un sentiment devient digne d’intérêt quand il conduit à l’action. D’ailleurs, ils utilisent plus souvent le verbe « aimer » que le substantif « amour ». Ce qui les intéresse vraiment, c’est quand l’amour s’incarne dans une action concrète envers le prochain.
Dans cette veine biblique, l’amour est réellement digne d’intérêt quand il devient une loi. Je sais que le terme ne nous plaît guère. Nous sommes tous plus ou moins les enfants de Carmen, quand elle chante dans l’opéra de Bizet : « L’amour est enfant de Bohème qui n’a jamais connu de loi » ! Pourtant, c’est bien comme une loi que Paul présente l’amour du prochain. Non pas comme une loi qui étouffe, mais comme une loi qui s’impose à nous comme s’impose une loi de la nature. Elle devient, pour l’humain réellement libre, évidente. La loi de la pesanteur, par exemple, qu’on le veuille ou non, s’impose à nous. Ainsi en va-t-il de la loi d’aimer.
La loi d’aimer ne trouve pas sa réalisation dans une simple action ponctuelle comme un geste de bonté isolé. Elle se réalise pleinement quand elle devient un engagement qui s’inscrit dans la durée; quand elle structure une posture personnelle fondamentale qui se prolonge dans la durée d’une vie. L’amour, pour Paul et pour beaucoup d’autres auteurs bibliques, ce n’est pas le coup de foudre d’un instant, mais un agir, découlant d’une liberté profonde, qui devient la colonne vertébrale d’une vie.
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