L’offrande est-elle un des moments du culte ? Oui certainement, pour les nombreuses paroisses qui la placent après la prédication et avant la prière d’intercession. Mais dans une autre tradition, également tout à fait protestante, même si sa pratique semble de moins en moins fréquente, l’offrande se fait lors de la sortie, les diacres postés à la porte présentant les « quêteuses » aux fidèles qui passent devant eux. Je serais tenté de réserver pour la première possibilité, celle qui nous intéresse ici, le terme d’offrande, lorsqu’elle a lieu au cours du culte et participe à sa liturgie, et de préférer le terme de collecte, ou de quête, lorsque s’applique la seconde tradition.
Pour des martiens débarqués dans nos temples, le temps de l’offrande pourrait être perçu comme celui de la rémunération du service rendu : il faut payer pour ce qu’on a reçu. Les formules utilisées pour l’annonce : « Que chacun donne comme il l’a résolu en son cœur, sans tristesse ni contrainte ; car Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Co 9,7) ou « Il faut se rappeler la parole du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même ; il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20,35) sont à double tranchant : elles pourraient donner l’impression qu’il s’agit de « faire passer la pilule » avant un geste douloureux. Mais, même s’il y a un peu de cela, cette perception peut être dépassée.
Il y a deux moments liturgiques qui s’appuient sur la notion de don. La Cène est le moment de la communion dans le don reçu : les fidèles, côte à côte, reçoivent le pain et le vin. L’offrande est aussi une communion, mais cette fois dans le don effectué : c’est cette concordance qui légitime la place de l’offrande comme partie intégrante du culte.
J’ai eu plusieurs fois l’occasion de voir ce sentiment de communion, et le besoin de communier de cette façon, s’exprimer tout à fait clairement : lorsqu’un de nos paroissiens, que je sais bénéficier du soutien de l’Entraide, s’aperçoit qu’il n’a pas donné lors du passage du diacre, il se précipite pour le rattraper et joindre son obole à celle des autres fidèles. Le terme d’obole me vient à l’esprit en référence au passage de Mc 12,41-44 où la pauvre veuve ayant mis la sienne dans le tronc du Temple, Jésus dit à ses disciples : « En vérité, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus qu’aucun de ceux qui ont mis dans le tronc ; car tous ont mis de leur superflu, mais elle a mis de son nécessaire. »
Nos paroissiens, comme la pauvre veuve, savent très bien que ce n’est pas le montant de leur contribution qui changera les conditions de vie et d’action de leur communauté : pourtant ils savent tout autant que leur acte est important, et significatif. Et qu’avec lui ils rejoignent, sur un pied d’égalité, ceux qui, en donnant éventuellement beaucoup plus, ne témoignent ni plus, ni moins qu’eux de leur volonté de participer à cette communion par le don.
L’offrande est le moment de la participation matérielle soit à la vie de la communauté, soit au soutien que cette dernière apporte à des personnes démunies : elle souligne que nous n’assistons pas au culte en purs esprits désincarnés, venus nous abreuver aux sources de l’Esprit. Même après une prédication qui nous a transportés spirituellement, nous restons des êtres de chair et de sang participant à la réalité quotidienne du monde au même titre que les frères de chair et de sang que l’amour du Père confie à notre amour.
Elle est aussi un moment d’action de grâce ; nous nous reconnaissons gratifiés, et notre don se réfère toujours au don premier, à tous les dons premiers que nous recevons de Dieu : ce que nous avons, nous ne le tenons que de Lui. En donnant une part de ce que nous avons reçu, nous renonçons à nous en prétendre les seuls détenteurs et maîtres, et exprimons ainsi notre reconnaissance : la gratitude des gratifiés par la Grâce de Dieu.
L’offrande est donc un moment de partage : la reconnaissance de la Grâce aboutit à la mise en commun des ressources apportées par chacun au bénéfice de l’Église et des démunis qu’elle assiste. Jésus nous dit qu’elle doit aussi être le moment de la paix : « Si tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande. » (Mt 5,23- 24) Cette priorité donnée par Jésus à l’apaisement du conflit entre deux personnes laisse entendre que c’est la condition pour que soit pleinement possible la communion avec tous dans le don.
Il me semble que cet apaisement devrait aussi être une priorité, au moins en esprit, pour ce qui est de la participation à la communion de tous dans la réception de la Cène. Il fut un temps où il fallait présenter un méreau pour y accéder. Pourquoi n’en fallait-il pas un pour participer à l’offrande ? Il est heureux qu’aujourd’hui il ne nous soit plus demandé de nous sentir saints ni d’être « administrativement » reconnus tels pour nous approcher de la table de communion ou pour contribuer à l’offrande !
Pour en revenir aux considérations matérielles, mes calculs d’ancien trésorier de paroisse auraient pu me faire penser et dire qu’au lieu de contribuer à l’offrande il était préférable de donner trois fois plus en don nominatif, par exemple par chèque, en bénéficiant d’un « Cerfa », le reçu fiscal permettant une déduction des impôts des deux tiers. Mais je ne l’ai jamais fait, et je comprends aujourd’hui que j’avais le pressentiment que cela aurait été évacuer la réalité cultuelle, liturgique et spirituelle, de l’offrande.
Nous avons souhaité reproduire ici quelques lignes de Laurent Gagnebin consacrées à l’offrande : Elle nous redit la vérité de l’Incarnation et le refus de tout docétisme réduisant l’humanité du Christ à une apparence. Notre foi ne saurait se perdre dans les vertiges de l’abstraction ou de spiritualités évanescentes. Récolter ainsi pendant le culte, avec le bruit que cela suppose (même si l’on peut souhaiter que cette collecte soit à la fois abondante et légère !), l’argent donné par les participants de nos célébrations a, pour certains, quelque chose de presque choquant, trivial, gênant, comme si notre culte ne se déroulait pas sur la terre, mais au ciel dans une sorte d’extase mystique. […] Il serait faux de penser que mettre en évidence, à propos de la cène et de la collecte dans le culte, les liens rattachant […] le christianisme spirituel et le christianisme social est une sorte de marotte des théologiens contemporains, victimes de certaines idées ou idéologies contemporaines. En fait, Calvin déjà, dans les pages qu’il consacre à la cène dans L’institution de la religion chrétienne oriente notre compréhension du culte dans ce sens. Parlant de la cène qui doit « inciter et enflammer à charité, paix et union », Calvin montre que le sacrement, quand il est vraiment vécu comme « lien de charité », selon ce que voulait d’ailleurs Augustin, nous conduit à comprendre que « nul des frères ne peut être de nous méprisé, rejeté, violé, blessé, ou en aucune manière offensé ». Calvin souligne dans la même page avec une force exceptionnelle que nous ne sommes un même corps et participons d’un même pain qu’à la seule condition que nous voulions aussi être « conjoints et assemblés entre nous » et qu’il n’y ait parmi nous « aucune noise ni division ».
Extrait du livre de Laurent Gagnebin Le culte à choeur ouvert, Genève, Labor et Fides, 1992.
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