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9. La musique

 

La musique appuie les fonctions principales de la célébration, et se déploie au-delà de ce rôle. Jean-Sébastien Bach considérait que toute musique « ne doit pas servir à autre chose qu’à la louange de Dieu et à la restauration de l’âme ». C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne la musique liturgique, qui a une double vocation, théocentrique et anthropocentrique. Elle est à la fois louange et grâces rendues à Dieu, sacerdoce porté par tous, et proclamation à l’adresse du croyant, ministère particulier adressé à chacun. La politique de renouvellement hymnologique présentée par l’EPUdF sur le site cantiques.fr est donc difficilement compréhensible. D’une part, son interprétation du sacerdoce universel évince la notion de ministère particulier, ôtant à la musique son pouvoir de prédication. D’autre part, elle est presque exclusivement tournée vers une musique d’agrément et de divertissement, qui ne peut rejoindre les hommes dans leurs préoccupations ultimes.

 Une expression du sacerdoce universel

La musique est l’élément le plus manifeste de la participation des fidèles au culte. Comme lui, elle procède d’une dynamique initiée par Dieu. Elle commence avant même le début du culte, favorisant notre disposition à l’écoute. L’expérience esthétique, lorsqu’elle mobilise notre intelligence et notre sensibilité, nous ouvre à l’accueil de la Parole. C’est au titre de langage s’adressant « immédiatement à l’oreille et à l’intellect de l’individu » qu’Augustin la reçoit comme ayant une valeur liturgique, car « elle est de nature à induire, même chez les esprits faibles, une conscience meilleure de leur situation religieuse ». Calvin, à la suite d’Augustin, considère que la valeur de la musique réside dans sa « grande force et vigueur d’émouvoir et enflammer le cœur des hommes ».

Elle constitue la majorité des moments où nous sommes acteurs du culte, où nous pouvons prier, louer, crier, nous réjouir, nous affliger, nous révolter, rendre grâce, jubiler, à haute voix et ensemble. Afin de nous rendre davantage acteurs de ces temps, on pourrait souhaiter que soient systématiquement confiées aux paroissiens les partitions des chants. Par ailleurs, une religion qui se réclame d’une absence de dissociation entre la chair et l’esprit ne pourrait se satisfaire d’un culte qui exclue toute corporalité. Des pratiques qui permettent d’incorporer la foi traversent toutes les religions : méditation bouddhiste, signe, procession ou jeûne catholique, prosternation et jeûne musulman. La seule incarnation qui reste au protestant réside dans le chant, ce qui explique peut-être la très grande importance qu’il prend lors du culte.

 Une forme de prédication

Si le chant de l’assemblée constitue un aspect essentiel du culte et du postulat du sacerdoce universel, il n’exclut pas la possibilité d’une musique qui ne soit pas systématiquement confiée à l’ensemble des paroissiens. Selon Luther, tout comme il y a un ministère de la prédication, il y a un ministère de la musique : « Je ne serais pas capable d’écrire de pareils motets, quand bien même je me mettrais en quatre. Lui, à son tour, ne saurait prêcher sur un psaume aussi bien que moi. Les dons du Saint-Esprit sont divers. » Si chanter est l’affaire de tous, composer demande des dons, du métier et du travail. La musique du culte a une fonction proche de la prédication : comme elle, il lui arrive de tomber à plat, de ne pas me concerner. Comme elle, elle a une fonction évangélisatrice, car elle a les moyens de me rejoindre là où je suis pour me décentrer.

Lors du culte, la musique est à la fois en deçà du discours, discours, et au-delà du discours. Dans une perspective calviniste, elle est en deçà du discours, elle s’efface devant la Parole qu’elle souligne et permet de mémoriser, comme dans le cas de la mise en musique des psaumes à la Renaissance. Dans une perspective luthérienne, la musique est discours, « toute proche de la théologie ». C’est probablement pour cette raison que la musique luthérienne s’est somptueusement déployée lors de la période dite Baroque, au cours de laquelle la musique est, plus qu’à toute autre époque, pensée en tant que discours.

Les théologiens romantiques, comme Schleiermacher, ont défini la musique comme un « au-delà » du discours. Ils considèrent d’une part que la musique est en elle-même un chemin d’accès à la transcendance, et d’autre part qu’elle commence là où le langage s’épuise. Raphaël Picon dit avec justesse que « là où le mot et la parole seule pourraient prétendre enfermer Dieu dans un discours et l’enclore dans des concepts, la musique vient élargir cette médiation théologique ».

 Quelle musique pour le culte ?

Lorsque Luther cite des compositeurs ayant prêché l’Évangile par la musique, il mentionne les meilleurs compositeurs de son temps (Josquin des Prés, Senfl). Se placer dans la continuité du Réformateur, ce ne serait donc ni promouvoir la musique du passé, ni les styles populaires de divertissement, ni les auteurs spécialisés dans la musique liturgique. Actuellement, la musique du culte navigue cependant entre ces trois options. À la différence des Réformateurs, nous héritons d’un culte porteur d’une histoire. La musique du psautier est de très belle facture ; les cantiques du Réveil sont d’une valeur plus inégale, parfois sur de très belles mélodies (empruntées à l’occasion au répertoire profane), mais trop souvent sur des textes dont la théologie est éloignée de ce qui est prêché en chaire. Cet héritage indispensable semble devoir être enrichi.

Si de tout temps on a composé de nouveaux cantiques, c’est une lubie actuelle que de les vouloir à tout prix inspirés par la musique populaire. La musique du culte est affaire sérieuse, elle a pour vocation d’élever, pas de satisfaire le goût de nos oreilles pour la facilité et le divertissement. Calvin soutenait qu’il « y a toujours à regarder que le chant ne soit léger ni volage, mais qu’il ait poids et majesté et qu’il y ait grande différence entre la musique qu’on fait pour réjouir les hommes à table et en leur maison, et entre les Psaumes qui se chantent en Église, en la présence de Dieu et de ses anges ». Le rock chrétien et les cantiques sur accords de guitare ont bien leur place et leur valeur en tant qu’expressions créatives d’une spiritualité individuelle, mais ils ne devraient pas constituer la liturgie. Le renouvellement du répertoire liturgique gagnerait à être le fruit de la création de compositeurs de musique savante contemporaine, comme cela fut le cas autrefois. On pourra opposer deux objections à cette proposition : la première est d’ordre esthétique, la seconde est d’ordre pratique, les deux étant liées au caractère difficile de cette musique. Il est vrai que la musique contemporaine présente un écart vertigineux avec notre environnement sonore. Il me semble cependant que les a priori esthétiques pourraient être mis de côté, a minima pour ce qui concerne la musique instrumentale : est-ce que le culte n’est pas précisément le lieu où la tradition héritée pourrait se conjuguer avec ce qui déplace ? C’est pourquoi il me semble que l’on gagnerait parfois à entendre de la musique plus avant-gardiste au culte, et à commander des pièces instrumentales et des cantiques à des compositeurs sensibles à la musique sacrée, comme Rihm, Pintscher, ou d’autres grands créateurs, avec comme contrainte conséquente de produire un répertoire chantable par tous.

 Post-scriptum : l’union ferait la force

Si le lien entre parole et musique était pleinement pris en considération, on ne verrait pas le pasteur communiquer la liste des chants au dernier moment à l’organiste qui, dépourvu également du sujet de la prédication, ne peut choisir les œuvres de manière à ce qu’elles offrent une résonance profonde au Verbe. C’est sous-estimer la puissance oratoire du discours musical que de négliger cette concertation, et priver l’assemblée d’une part de sens précieuse et riche.

Par ailleurs, il est regrettable qu’une formation musicale solide ne fasse pas partie du cursus des études théologiques et qu’il soit possible de devenir pasteur sans avoir de connaissances en hymnologie, lecture de partitions, histoire du répertoire, donc sans soupçonner les vastes espaces de sens ouverts par une musique de qualité. Luther disait pourtant qu’il ne faut pas « ordonner pasteurs de jeunes gens qui ne se soient, à l’école, essayés à la musique et qui y soient exercés ».

 

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À propos Constance Luzzati

est harpiste, professeur de culture musicale à Paris, et étudiante en théologie à Genève. Elle est titulaire d’un doctorat de musique, de plusieurs premiers prix du conservatoire de Paris et de concours internationaux.

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