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8. La prédication

 

Il est d’usage de dire que la prédication est le centre du culte des Églises réformées. C’est aussi mon avis. Toutefois, il ne suffit pas qu’une personne parle pendant une vingtaine de minutes après avoir lu un passage biblique pour que les membres de l’assemblée aient bénéficié d’une prédication. Si la prédication est à peu près au milieu du déroulement du culte et qu’elle constitue le moment le plus long, ce n’est pas pour ces éléments-là qu’elle est la raison pour laquelle j’irai volontiers au culte, même fatigué, même par mauvais temps. Une prédication porte vraiment son nom lorsqu’elle est l’annonce, que dis-je, la proclamation de la vie portée à son incandescence.

Prêcher la vie

La prédication est destinée à rendre disponible la vie telle que le Christ Jésus l’a manifestée. Cela suppose que le prédicateur se soit mis à l’écoute de la vie, qu’il l’ait observée au moins quelques fois et qu’il ait, lui-même, essayé de vivre. Non pas vivoter, mais vivre avec une liberté correspondant à l’espérance formulée dans les textes bibliques, voilà ce que propose une prédication. Dans son Discours aux étudiants en théologie de Harvard, Ralph Emerson (1803-1882) raconte un épisode épouvantable : « J’ai entendu une fois un prédicateur qui me donnait fortement envie de me dire à moi-même : je n’irai plus jamais à l’Église ! […] Une tempête de neige s’abattait tout autour de nous. La tempête était bien réelle, mais le prédicateur n’était que spectral ; et l’œil était frappé de ce triste contraste entre lui et, à travers la fenêtre, juste derrière lui, le beau météore de neige. Il avait vécu en vain. Il ne prononça aucun mot qui donnât à penser qu’il ait jamais ri ou pleuré, qu’il ait été marié ou amoureux, qu’il ait été l’objet d’éloge, de tromperie ou de peine. […] Le grand secret de sa profession qui est de convertir la vie en vérité, il ne l’avait pas appris. »

La prédication n’est pas une explication de texte. Il y a les études bibliques pour montrer ses talents d’exégète et pour mettre en évidence l’histoire de la rédaction du texte et ses interactions avec la culture contemporaine des rédacteurs. Il y a les partages bibliques pour dire nos impressions sur le texte, pour dire quelle est notre manière de le recevoir ou quelles sont nos difficultés. La prédication, elle, ressuscite l’esprit qui a conduit au texte biblique qui a été lu, et elle le fait souffler dans le présent des auditeurs. La prédication est ce moment du culte où « Dieu parle » : les paroles mettent un peu d’ordre dans le chaos des auditeurs, selon l’espoir formulé par Karl Barth qui écrivait que l’auditeur attend que le prédicateur le comprenne mieux qu’il ne se comprend lui-même, qu’il le prenne plus au sérieux qu’il ne le fait lui-même (Parole de Dieu et Parole Humaine). Les mots du prédicateur peuvent donner une place et du sens à tout ce qui fait notre monde, le rendant plus vivable, selon l’esprit de Genèse 1.

Les grandes vérités de la prédication ne concernent pas la doctrine chrétienne qu’il s’agirait d’expliquer comme le font les catéchètes. Les grandes vérités de la prédication sont celles qui font que les personnes qui sont venues à l’office repartiront en ayant un peu mieux conscience de leur humanité et du fait qu’il est possible de vivre le bonheur et la grâce dont il est question dans les promesses bibliques. Prêcher l’Évangile, ce n’est pas inculquer des phrases toutes faites que les paroissiens pourront répéter à leurs proches, à leurs collègues ; c’est faire retentir une bonne nouvelle qui s’adresse très directement à celles et ceux qui sont là, devant la chaire.

Communiquer

Oui, la chaire a sa fonction dans la prédication. Elle n’éloigne pas le prédicateur des fidèles, elle n’en fait pas un être à part, elle lui permet d’engager un dialogue avec chacun en lui permettant d’établir une relation interpersonnelle avec chaque personne. Par sa place et sa hauteur, la chaire doit permettre au prédicateur de voir chacun dans les yeux, d’être bien entendu et vu (car la communication verbale n’est qu’une partie de ce que nous communiquons). Il en va de la chaire comme de la nécessité d’une sonorisation : tout dépend du lieu et du nombre de personnes. Car la prédication est un acte de communication. Il ne s’agit pas d’occuper les paroissiens pendant une vingtaine de minutes autour d’un texte biblique pour être quitte de sa responsabilité. Il faut non seulement avoir quelque chose à leur dire, mais être audible et compréhensible. Pour être audible, le mieux est encore de parler lentement pour avoir le temps de bien articuler et de ménager les pauses aussi bien pour laisser le temps nécessaire à l’intériorisation des phrases que pour neutraliser l’éventuel écho qui brouillerait l’écoute. Pour être compréhensible le mieux est encore de comprendre ce dont on parle. Bien des prédications sont incompréhensibles parce que le prédicateur ne sait pas de quoi il parle ; il ne peut donc en parler simplement, sans utiliser un vocabulaire technique derrière lequel il cache son indigence.

De même, il faut penser à son auditoire en préparant sa prédication. Alexandre Vinet, dans sa Théologie pastorale, suggérait que si l’assemblée était composée de quarante-neuf savants et d’un ignorant, c’est pour l’ignorant qu’il faudrait prêcher tout en précisant que le prédicateur œuvre pour faire disparaître l’homme particulier et faire place à l’homme universel. Nous pourrions dire qu’il faut prêcher pour l’athée, en se préoccupant de ce qu’il vit, de ce qu’il est appelé à vivre, indépendamment des préoccupations de l’Église, car tout homme est à appeler de nouveau, même s’il est un pilier de la communauté.

Faut-il prêcher sur la Bible ?

À un étudiant qui l’interrogeait sur la possibilité de ne pas prêcher sur un texte biblique, la légende dit que Karl Barth aurait répondu : « Commencez déjà par prêcher sur toute la Bible… » Il m’est d’avis qu’il vaut mieux prêcher l’Évangile sans avoir lu la Bible que d’avoir lu la Bible et ne pas prêcher l’Évangile. La lecture de la Bible pendant le culte ne garantit en rien qu’il y aura bel et bien une prédication donnée plutôt qu’un verbiage ou qu’une collection de réflexions. En effet, la lecture de la Bible peut être un obstacle à l’Évangile lorsque le prédicateur imagine que sa mission consiste à faire justice à la Bible, conçue comme ce vers quoi toutes nos pensées doivent converger. Or qu’est-ce que la Bible ? Le sage Tchouang-tseu, dans La voie du ciel, rapporte ce dialogue entre un conducteur de char et un duc : « — Puis-je vous demander ce que vous lisez ? — Les paroles des grands hommes, répondit le duc. — Sont-ils encore en vie ? — Non, ils sont morts. — Alors ce que vous lisez là, ce sont des déjections des Anciens ! » La Bible, c’est de la foi digérée, c’est de la vie face à Dieu digérée. Nous ne pouvons donc pas nous contenter de la seule Bible, de ce seul écrit, pour découvrir cette grâce qui a fait se lever des générations d’individus qui sont devenus des âmes ayant transfiguré leur condition première. Il faut aller au-delà du texte biblique. En reprenant la distinction entre l’écrit (scriptus) et l’écriture (scriptura), que j’emprunte à mon collègue Jean Dietz, je dirais que le prédicateur regarde au-delà de l’écrit (la Bible) car seule l’écriture, c’est-à-dire l’interprétation qui est un processus infini de lecture et de réécriture, nous rapproche du divin.

Si nous conformons notre vie à ce que dit le texte biblique, nous ferons de notre vie une déjection. Or nous valons bien mieux que cela (attention, ceci est une prédication). La prédication permet cette transcendance du texte biblique. Certainement se référer explicitement à la Bible nous évite-t-il un peu de projeter nos idéologies sur les auditeurs et de faire un sermon en forme de discours de campagne électorale. Mais, de grâce, ne laissons pas la Bible faire écran entre nous et la vie en plénitude que contiennent les promesses de l’Évangile. Jésus, selon les évangiles, a très peu cité les textes, sinon pour restituer l’esprit dans lequel ils pouvaient être compris, pour couper court aux discussions polémiques et stériles ou encore pour faire entendre à nouveau la puissance de vie qu’ils contiennent.

Prêcher pour mieux se connaître, pour mieux comprendre la vie, pour la rendre plus belle, plus intéressante, plus jouissive.

 

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À propos James Woody

Pasteur de l'Église protestante unie de France à Montpellier et président d'Évangile et liberté, l'Association protestante libérale.

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