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La légende du Golem

 

Nous sommes au deuxième tiers du XVIe siècle, et les juifs de Prague sont enfermés dans un ghetto. Persécutés par les chrétiens, ils sont accusés d’actes impensables, le plus odieux étant le meurtre d’enfants chrétiens dont le sang servirait à la fabrication des matza (pains sans levain) de Pessah (la Pâque juive). En raison de ces accusations, chaque année, pendant la semaine de Pessah, de nombreux juifs innocents sont torturés et tués. Après des siècles de pogroms et de violences inscrits dans la mémoire collective, une peur profonde s’infiltre dans la communauté. Mais la Renaissance arrive bientôt à Prague, et voit apparaître des juifs érudits, comme le rabbin Loew, connu sous le nom de Maharal (abréviation de Morenou HaRav Leow en hébreu, c’est-à-dire « notre enseignant le rabbin Leow »).

C’est dans ce contexte que naît la fameuse légende du Golem de Prague. À l’approche de Pessah et des dangers qui l’accompagnent, les juifs du ghetto demandent au Maharal de leur faire un protecteur. D’une masse d’argile, il façonne la forme d’un homme et, récitant des incantations mystiques, il écrit sur son front le mot hemet, « vérité » en hébreu. Le Golem de Prague, protecteur du peuple juif de la ville, s’anime.

Le mot « golem » apparaît dans la Bible hébraïque uniquement dans le psaume 139, où le poète demande à un Dieu omniscient et omniprésent de regarder en lui et de voir son innocence. Évoquant clairement la Genèse, l’auteur décrit sa création par Dieu : « dans un lieu secret, tissé dans les profondeurs de la terre » (v. 15), « quand je n’étais qu’une masse informe, tes yeux me voyaient » (v. 16). Le mot hébreu qu’emploie le poète et qui est traduit ici par « masse informe » est golem. Le Lexique hébraïque et araméen de l’ancien testament note que, dans la tradition rabbinique, le mot a souvent été compris comme signifiant « embryon », et au fil du temps, le mot a pris un sens plutôt figuratif pour décrire des traits de caractère. En hébreu moderne, il signifie « stupide ». Un golem serait une masse informe, l’embryon en cours de création, un être inculte et stupide. On trouve tout cela dans le Golem de la légende.

Dans le talmud de Babylone (un des textes importants du judaïsme, qui comporte différents traités), il est dit qu’à la deuxième heure de vie d’Adam, sa poussière a été pétrie pour former un golem. Deux légendes apparaissent ensuite, qui décrivent la création des êtres vivants par des hommes saints, un écho de la création d’Adam par Dieu. Dans le traité Sanhédrin 65b, l’être appelé golem est incapable de parler, et en raison de cette imperfection (comparé à l’homme), il retourne à la poussière dont il a été fait. Ce qui est mis en avant par ces exemples de la légende est la création par un être saint ou divin, et l’imperfection de la créature. Ces thèmes demeurent dans les légendes qui ont suivi.

Comme toute légende, celle du Golem a connu des évolutions au cours du temps, donnant différentes variantes. Le Golem est toujours façonné à partir de terre, mais plusieurs méthodes sont employées pour le rendre vivant. Des incantations mystiques, l’écriture d’un mot mystique ou du nom de Dieu sur son front ou sur une feuille de papier insérée dans sa bouche lui donnent vie. Le Golem est toujours doux et bon au début de l’histoire, mais c’est un être imparfait, il est abruti et sujet à la corruption (un vestige du Golem du Sanhédrin65b). Le Golem devient fou et se met à commettre des violences à l’encontre de ceux qu’il est censé protéger. À la fin de l’histoire, le protecteur devenu monstre doit toujours être détruit. Pour le détruire, on fait, à l’envers, les actions qui lui ont donné la vie. Pour le Golem de Prague comme pour d’autres, le mot hemet, vérité, a été écrit sur son front à sa naissance. La première lettre est effacée, la racine perd sa consonne initiale et devient met, la mort, ce qui tue le Golem. La poésie de ce détail est à souligner : sans vérité, c’est la mort.

Cette légende a été repensée au cours des siècles, donnant naissance à d’autres légendes et contes. C’est à elle que l’on doit le petit bonhomme en pain d’épices, le Frankenstein de Mary Shelley, et même des robots du film 2001 : l’Odyssée de l’espace. Après plus de dix siècles, elle nous captive encore.

La fin de l’histoire est racontée avec une beauté envoûtante par Isaac Bashevis Singer dans son livre Le Golem. Être imparfaitement fait par un être imparfait, le Golem de Prague commence à tuer ceux dont il a la charge. Le Maharal et sa femme, qui aiment leur créature, savent que le moment est arrivé de le faire retourner à la poussière dont il est né. En larmes, la femme du rabbin lui donne à boire pour qu’il baisse sa tête pour dormir. Le Maharal s’approche avec des mots mystiques, il efface le nom de Dieu de son front, et l’âme du Golem le quitte. C’est une fin triste et émouvante, teintée de l’angoisse inhérente à la vie humaine, et c’est cela qui nous parle encore aujourd’hui. C’est une légende sur l’humanité, un commentaire existentiel sur la condition humaine et ce que signifie être une créature imparfaite et vulnérable entre les mains du puissant divin.

 

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À propos Melissa Short

est américaine, native de l’État du Texas. Elle est étudiante à l’Institut Protestant de Théologie de Paris. Elle s’intéresse tout particulièrement au concept philosophique de l’amour dans les épîtres de Paul.

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