Accueil / Journal / 6. Nommer Dieu sans l’enfermer

6. Nommer Dieu sans l’enfermer

 

Depuis quelques mois, Évangile et liberté a ouvert ses colonnes à la réflexion sur la déclaration de foi en cours de rédaction dans l’ÉPUdF. Beaucoup de questions importantes ont été abordées, sur la nécessité ou non d’un tel texte, et sur son contenu. Je les résumerais volontiers ainsi : que dire, pour faire bien entendre que nos mots ne peuvent jamais enclore Dieu ? Comment s’accorder sur des mots, quand la foi est une dynamique de vie propre à chacun ? La réflexion proposée ici ne peut échapper à ces questions, mais il s’agit surtout de nous demander pourquoi faire place à une confession de foi dans le culte et quels peuvent en être les effets.

Arrêtons-nous d’abord sur l’expression « confession de foi ». « Confession » vient du latin fateor-fateri, qui signifie surtout avouer, reconnaître, mais aussi indiquer, montrer, composé du préfixe cum, avec. Si j’en crois le Dictionnaire historique de la langue française, ce mot désigne « l’aveu de ses péchés à Dieu, à un prêtre et, par extension, l’aveu d’une faute quelconque ». Alors pourquoi le lier à l’expression de sa foi ? Ce sont, note encore ce Dictionnaire, « les protestants du temps de la Réforme [qui] ont introduit le sens, repris au latin, de “profession de foi” (1537) ». Ce qui interroge : j’imaginerais volontiers (sans aucune preuve historique) qu’ils ont souhaité assumer avec fierté – malgré ce que cela pouvait leur coûter – l’expression de leur foi en transformant en témoignage ce qui était pour leurs opposants de l’ordre du péché. Et le cum de la confession pouvait être une façon de dire : même si nous sommes en rupture avec l’Église romaine, nous ne sommes pas seuls ; c’est communautairement – et dans la communion de l’Église invisible – que nous affirmons notre foi. Quoi qu’il en soit, ce renvoi aux temps de la Réforme vient rappeler l’implication forte, personnelle et communautaire, que constitue le fait de dire sa foi.

Pourquoi une confession de foi dans le culte ? La réponse pourrait facilement être critique. Car ce « je crois », ou « nous croyons », qu’il emprunte des mots surannés dans lesquels nous ne nous reconnaissons pas toujours, ou qu’il traduise la réflexion propre de l’officiant, pourrait bien avoir quelque chose d’un peu artificiel. Peut-être s’agit-il de souder une communauté autour d’un texte qui exprimerait la foi commune des participants, mais cette foi commune existe-t-elle vraiment ? Ou s’agit-il de convaincre de la vérité de nos dogmes les mal-croyants que nous sommes toujours ?

La confession de foi est ce moment où nous essayons de nommer Dieu de façon un peu synthétique, et en troisième personne. C’est, me semble-t-il, une démarche à la fois essentielle et dangereuse. Essentielle, car on peut se demander jusqu’où Dieu existerait si nous ne cherchions à le nommer. « C’est ta Parole qui crée Dieu, Dieu lui-même l’a voulu ainsi », a pu écrire Jean Debruynne. Mais nous le nommons ailleurs dans le culte, et de façon peut-être plus juste, en particulier quand nous lui disons « tu ». On pourrait même dire qu’il y a quelque chose de dangereux à nommer Dieu ainsi, en troisième personne, comme si nous avions un savoir sur lui. Les mots de la confession de foi risquent toujours de donner à penser que nous pourrions parler de Dieu en soi, alors que nous ne pouvons connaître que le Dieu pour nous.

Dieu existerait-il si nous ne cherchions à le nommer, ai-je demandé ? Hérésie ? Une conviction centrale du protestantisme est que Dieu nous précède ; notre foi, nos tentatives de nomination, ne sont jamais que secondes. Et l’Église se fonde dans l’appel que Dieu nous adresse, dans son désir de nous qui nous devance, bien plus que dans notre réponse. Pourtant la confession de foi donne, pour nous, une certaine existence à Dieu, elle permet que Dieu prenne corps pour nous : notre parole, aussi fragile, aussi critiquable soit-elle, nous met à nouveau en présence de ce Dieu dont nous avons reçu une parole à travers la prédication ; elle nous y met différemment, non plus simplement comme auditeurs passifs, mais bien comme des sujets, ce qu’exprime la formulation à la première personne. Le temps liturgique qui ouvre le culte se joue comme un dialogue entre l’homme et Dieu, en je-tu ou nous-tu ; dans la prédication, l’officiant parle de Dieu à la troisième personne en s’adressant à ses auditeurs à la deuxième personne ; dans la confession de foi, l’assemblée (soit directement soit par la voix de l’officiant) prend la parole : je crois, nous croyons… Et cette parole qui vient en réponse aux interpellations et ouvertures de la prédication est de l’ordre d’un engagement.

C’est dans cette implication de l’assemblée que se joue la différence entre une confession de foi et un discours théologique qui prétendrait avoir un caractère scientifique. Je crois, nous croyons… C’est bien dire que nous ne savons pas. Je crois, nous croyons qu’en Jésus- Christ, Dieu se donne à connaître (et non à savoir) comme un Dieu qui se donne à rencontrer mystérieusement ; Dieu se donne à connaître sans que nous puissions mettre la main sur lui.

Au fond, le plus important dans la confession de foi est sans doute ce « je crois », « nous croyons » qui nous constitue sujets, et qui nous met debout devant Dieu, prêts à vivre l’aventure de la foi. Faudrait-il s’en contenter – éventuellement en ajoutant avec le père de l’enfant possédé d’un esprit muet : « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité » (Mc 9,24) ? Pourquoi pas ? On l’a dit, nos mots risquent toujours de trahir Dieu, s’ils donnent à croire que nous pourrions le définir sans reste. Le même poète qui affirmait le pouvoir créateur de notre parole nous met aussi en garde : « Plus la Parole veut nommer Dieu, plus elle le masque, le cache et l’efface. »

Il est pourtant précieux d’essayer, à travers nos paroles maladroites, de dire un peu mieux ce qui est au coeur de notre foi : la conviction que Dieu est présent de façon particulière dans le message et les actes de Jésus de Nazareth, dans le scandale de sa crucifixion ; la confiance qu’en lui un avenir est ouvert, au-delà du mal et du malheur. S’il s’agit de désigner quelque chose comme cela, il faut que nos paroles, dans leur formulation même, ouvrent vers cet horizon qui dépasse notre raison, pour nous le faire entrevoir. Il s’agit surtout d’exprimer, et donc de susciter en l’exprimant, la fides qua creditur (cette dimension existentielle de la foi), en mettant la fides quae creditur (les doctrines), à sa place de servante de la dynamique de foi [NDLR : Voir au sujet de ces expressions les explications d’André Gounelle : http://andregounelle.fr/vocabulaire-theo logique/]. Même s’il ne s’agit pas de trop dérouter les fidèles – car il est important qu’ils puissent s’associer pleinement à la confession de foi –, il me semble que c’est une parole de type poétique (poiein = créer) qui convient le mieux pour renvoyer au-delà d’elle-même ; une parole qui indique les réalités en creux plutôt qu’en plein, sans se prendre trop au sérieux. Il ne s’agit pas pour autant d’oublier la réalité de nos existences – avec le malheur et la souffrance, avec nos peurs et nos doutes ; c’est enracinés dans ce terreau-là qu’il s’agit de dire l’espérance.

« Je crois », « nous croyons » : j’ai utilisé jusqu’à maintenant les deux formules, en les liant sans trancher. Car la confession de foi a nécessairement une dimension individuelle, celle du sujet croyant impliqué dans une démarche et une réflexion propres, et une dimension communautaire : ma foi au Dieu père me constitue frère ou sœur de ces hommes et ces femmes qui croient à leur façon ; celle-ci me hérisse parfois, mais elle vient me rappeler que Dieu ne m’appartient pas ; et peut-être pourrais-je découvrir quelque chose de Dieu à travers eux. Ce n’est pas toujours simple de tenir ces deux dimensions dans un même texte, mais il sera possible de varier selon les accents du culte.

On l’aura compris, ces quelques réflexions supposent que l’on ne répète pas tous les dimanches le même texte, car alors le risque est grand de donner à croire qu’il constitue le fin mot de la foi. Le Dieu vivant prend mille visages, c’est aussi cela notre confession de foi !

 

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Isabelle Grellier

est membre de l’Église protestante unie de France ; elle est professeure de théologie pratique à la Faculté de Strasbourg

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading