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Dieu : personne ou énergie ?

 

George Frederic Watts : Physical Energy. Londres, Kensington Gardens, photo © Jhansmann - Dreamstime.

George Frederic Watts : Physical Energy. Londres, Kensington Gardens, photo © Jhansmann – Dreamstime.

Peut-on représenter Dieu ? Cette question traverse l’histoire des trois religions sœurs que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam. Mais la réponse est un constat : oui ! L’histoire religieuse nous montre que, de tout temps, on représente Dieu. Ou plutôt devrions-nous dire : on « se » représente Dieu. Cela n’a pas tout à fait le même sens. L’histoire commence avec les textes fondateurs. Lorsque l’on veut, dans les deux récits de création, symboliser l’action de Dieu, on représente celui-ci littérairement par une parole (Genèse 1) qui provoque une action, ou encore comme une Parole qui dialogue avec l’être humain, voire le sanctionne (Genèse 2-3). Lorsque l’Exode évoque l’expérience spirituelle de Moïse, il fait « apparaître » Dieu dans un buisson, comme une énergie qui ne se consume pas. Toutefois, le texte ajoute que nul ne peut voir Dieu. Car le dilemme est là : on ne peut voir Dieu, mais pour en parler, des images, par essence humaines, sont nécessaires. C’est ce que nous constatons dans l’histoire de nos trois religions. Nous y reviendrons. Mais si l’on se pose la question à partir de nos réalités contemporaines, l’image que l’on se fait de Dieu modifie profondément notre perception de Dieu bien sûr, mais aussi de la religion, et encore de l’éthique qui en découle, voire de notre identité même. Lorsqu’un djihadiste fait exploser une bombe ou égorge un être humain, il le fait au nom d’une image d’un Dieu absolu, violent, qui n’a qu’un seul but : constituer une caste de « purs ». Toutes nos religions ont connu ces heures sombres du dogmatisme meurtrier. Un autre exemple, lorsqu’un certain nombre d’athées critiquent la religion, ils le font au nom d’une image de Dieu qu’ils pensent que ces religions ont. Or, souvent, c’est encore l’image d’un Dieu tout-puissant, et assez terrifiant pour tout dire. Ce n’est pas ce Dieu-là que nous défendons ici. Bref, se poser la question de l’image de Dieu, c’est se poser la question de sa conviction, spirituelle et éthique, et celle de sa propre identité : quels sont ma place et mon rôle dans le monde ? Dis-moi quelle est ton image de Dieu, je te dirai qui tu es et comment tu te comportes.

Refus et attirance de l’image de Dieu.

La Bible, et, à sa suite, le Coran, affirment la sacralité de Dieu. Cette conviction est notamment mise en œuvre dans le judaïsme par le nom de Dieu. En effet, le « tétragramme sacré », qui désigne les quatre lettres qui composent le nom de Dieu (souvent transcrites en YHWH ou Yahvé), ne doit pas être prononcé par le lecteur des textes. Il dit à la place « Adonaï » (c’est-à- dire « le Seigneur »). Ce respect du nom de Dieu, seul mot hébreu en quatre lettres (contre trois pour les autres), marque la distance entre l’être humain et Dieu. La transcendance absolue est ainsi respectée. Celle-ci sera d’ailleurs réaffirmée par le Coran qui parle d’un Dieu unique, radicalement autre. L’art des civilisations musulmanes est empreint de cette vision des choses. Son esthétique est marquée par une pratique des formes géométriques symbolisant la grandeur de la création divine. Toute figuration de Dieu est exclue de cet art. D’une certaine manière, la Réforme protestante va reprendre cette logique en enlevant toute représentation de Dieu dans ses temples. Le christianisme a pourtant hésité entre un refus de l’image, l’iconoclasme, et une volonté d’ancrer la présence de Dieu dans une représentation accessible, notamment par l’art des vitraux, des statues et des peintures. Pendant presque mille ans, aucune représentation divine n’a eu cours dans les églises, pas plus que dans les synagogues. On constate néanmoins quelques exceptions. On a ainsi trouvé, dans une synagogue du IIIe siècle, une peinture représentant Dieu sous la forme d’une main venant du ciel. On n’est pas encore dans un anthropomorphisme complet, mais on utilise quand même un symbole humain. On retrouve cette « main » dans le christianisme, par exemple vers 850 dans une enluminure du « sacramentaire de Drogon », qui tire Jésus vers le ciel lors de l’Ascension. D’une certaine manière, le christianisme pouvait se passer d’une représentation de Dieu le Père, puisque l’on représentait le Christ, lui-même compris majoritairement comme pleinement Dieu avec les développements du dogme de la Trinité à partir du concile de Nicée (325). Mais plus tard dans l’histoire, notamment à partir du XIVe siècle, le besoin se fait sentir de représenter Dieu. On retrouve ainsi une image de plus en plus « paternelle » de Dieu. Dans l’Annonciation peinte par Bartolomeo di Fredi en 1397, Dieu apparaît clairement comme un homme âgé, sur son nuage, mélange de juge sévère et de grand-père attendri… Une image qui correspond sans doute aussi à une certaine conception, un peu surannée, de la paternité… Ce type de figuration va progressivement envahir le christianisme occidental. L’intérêt de cette évolution est tout de même double : il rend Dieu plus proche d’une part, il le rend accessible à la raison d’autre part. Le XVe siècle, celui de la Renaissance, va valoriser cette « accessibilité » de Dieu et cette rencontre entre foi et raison, entre théologie et philosophie, notamment au travers de la peinture. On ne peut pas comprendre en effet la peinture sacrée de Florence sans apercevoir en arrière-fond toute la réflexion philosophique autant que théologique. Le « néoplatonisme florentin » fut une expérience passionnante de cette volonté de rendre la compréhension de Dieu, et donc son image, accessible à la réflexion. C’est sans doute un antidote au risque dogmatique.

Le risque de l’anthropomorphisme

Mais, évidemment, cette évolution court un autre risque : celui de l’anthropomorphisme. Dire que Dieu est une « personne », comme le dit même le dogme de la Trinité, est une chose. Mais le représenter comme un grand-père en est une autre. Au fur et à mesure des évolutions de notre histoire, nos christianismes occidentaux ont été bercés par cette image d’un Dieu personne, au sens d’une personne quasi-humaine. Cela appelle deux remarques :

Tout d’abord, le langage sur Dieu, l’image que l’on en a, évolue au gré des sociétés. Dieu, père et presque grand-père, va souvent s’éloigner du Père Noël, pour ressembler de plus en plus au « père fouettard ». Bref, l’image de l’autorité de Dieu, beau thème en soi, va devenir une forme d’autoritarisme, évidemment géré par la religion, ses institutions, images même de l’autorité « morale ». Les conséquences sociales de cette image de Dieu sont indéniables. Dieu est la figure du père (humain). Le patron aussi, l’instituteur aussi (mais c’est déjà mieux), l’homme politique, voire le monarque ou le dictateur… Cela dépasse, une fois de plus, le cadre de la religion : ne disait-on pas de Staline qu’il était le « petit père des peuples », même si l’expression fut déjà employée pour les tsars ? Tous les dictateurs le savent : être père, c’est asseoir son pouvoir. Mais le Dieu que nous défendons est précisément l’opposé d’un dictateur !

L’anthropomorphisme est inévitable, du fait même que nos images pour dire Dieu viennent de notre expression humaine, et donc rapprochent Dieu de notre condition et de notre expérience humaine. Mais l’interdit de la représentation divine est sans doute un garant, un vaccin contre toutes les dérives totalitaires cautionnées par la religion. Encore une fois, l’islam, loin des caricatures des djihadistes ou des islamophobes de plus en plus nombreux, nous rappelle cette humilité humaine : je ne peux pas montrer Dieu car je ne peux pas tout dire de lui, de sa transcendance. Ce fut aussi la conviction des Réformateurs protestants lorsque, au travers de leurs critiques, ils firent le lien entre image de Dieu et pouvoir de l’Église.

On pourrait ici élargir notre réflexion avec les autres religions, présentes ou archaïques. Par exemple, dans la religion égyptienne (ou, devrions-nous dire, dans « les » religions égyptiennes tant l’évolution est notable), un bas-relief représente Akhenaton et Néfertiti. Ils célèbrent le culte d’Aton, manifesté par un disque solaire, dont les rayons se finissent, à l’approche des humains, en mains. Là encore, le thème de la main, mais bien avant nos traditions chrétiennes. Cette représentation permet d’affirmer en même temps la transcendance de Dieu et sa capacité à agir (la main) de manière proche, voire personnalisée.

Dieu : quelle intervention dans le monde ?

Il est vrai que notre manière de (nous) représenter Dieu est déterminée aussi par notre façon de concevoir son éventuel mode d’intervention ou d’interaction avec le monde. Dans le cas de l’athéisme strict (plus rare qu’on le pense), Dieu étant absent, toute représentation est celle d’une immanence. Cela se traduit, et on le voit chez certains peintres du XIXe et bien sûr du XXe siècle, par une absence de la thématique spirituelle, ou par une simple représentation de l’univers. Dans le romantisme pictural, notamment anglais, cela se traduit par une exaltation de la nature. L’ultime est sous nos yeux, nous avons à le contempler et à en admirer la beauté, la lumière et la force. Mais ces trois dernières caractéristiques se retrouvent aussi dans une deuxième réponse à cette question de l’action de Dieu pour ou dans le monde : le déisme. Dans cette vision, Dieu serait un démiurge, transcendant, un « grand architecte »qui aurait fabriqué le monde mais n’interviendrait plus dans cette création, laissant aux lois naturelles, au hasard et à la volonté des êtres humains et de la nature la liberté de leur destin, heureux ou tragique. Cette thématique, développée par un certain nombre de philosophes du XVIIIe siècle, est souvent reprise par la franc-maçonnerie, dans sa (ou plutôt « ses », pour en respecter la diversité) vision-s symbolique-s du monde. William Blake illustre parfaitement cette orientation dans son tableau « L’ancien des jours » (1794). Il reprend cette « vision » du divin comme un « grand architecte ». L’avantage incontestable de cette proposition est un non-dogmatisme et une non-tyrannie de Dieu, puisque le ressort de l’histoire humaine devient la liberté humaine seulement limitée par les lois naturelles.

La troisième réponse à la question du mode d’action de Dieu pose problème. C’est pourtant celle des religions sœurs, le judaïsme, le christianisme et l’islam. C’est celle du théisme, c’est-à-dire de l’intervention « réelle » de Dieu dans l’histoire du monde. Dieu intervient, se révèle et édicte, au travers des prophètes et des textes, un certain nombre de « lois » ou de modes d’agir plus ou moins précis. Notre compréhension de Dieu s’inscrit dans cette logique, puisque la foi, et nous le maintenons, est une « relation » entre l’être humain et Dieu. Pour qu’il y ait cette « relation », il est assez logique alors de concevoir Dieu comme une « personne » puisqu’une relation, précisément, nécessite une « interaction », voire un regard réciproque, comme l’a développé Emmanuel Levinas (1906-1995) dans sa philosophie. Nous voilà donc devant un vrai problème philosophique autant que spirituel et théologique. Si Dieu intervient, il est en relation avec nous ; il est alors une personne. Mais alors comment nous la représenter, sans laisser à quelques-uns le soin de le faire à notre place ? Comment conjuguer théisme, intervention de Dieu et non-dogmatisme ?

La théologie du Process

La philosophie et la théologie du process, desquelles nous nous revendiquons clairement, proposent une voie de sortie. Pour eux (et pour nous), nous ne pouvons pas tenir ensemble intervention de Dieu et Dieu « personne ». Alfred N. Whitehead, philosophe (1861-1947), et John B. Cobb, théologien (né en 1925), que nous avions évoqués lors d’un précédent dossier d’Évangile & liberté, nous proposent de renoncer à la notion de Dieu « personne ». Dieu, pour autant qu’on puisse se le représenter avec nos hypothèses humaines, se présente comme une force de proposition d’une part et comme une énergie de transformation d’autre part :

Force de proposition : nous (au sens large de chaque élément de la nature, du caillou à chacun-e d’entre nous) sommes constitués par les événements qui nous adviennent, à commencer par notre naissance. Ce flux(ce process) d’événements peut ou non avoir du sens. Pour cette théologie, c’est là qu’intervient Dieu. Devant chaque événement de ma vie, quel sens, c’est-à-dire quelle orientation mais aussi quelle signification, puis-je lui donner ? Dieu propose, l’être humain dispose.

Force de transformation : Dieu apparaît alors non plus comme une personne (tel le grand-père de la fin du XIVe siècle) mais comme une énergie qui peut nous permettre de transformer le monde, et nos vies, en fonction des orientations que nous donnons aux événements.

Dans ce cadre-là, Dieu n’est plus la cause des choses, le juge et le tyran, mais une énergie qui collabore avec le monde, avec l’être humain en particulier. Celui-ci est donc en même temps en relation avec ce Dieu-énergie, mais aussi dans un flux d’événements qu’il ne contrôle pas complètement. Comment concevoir en effet un dieu théiste classique, c’est-à-dire tout puissant et donc à l’origine de chaque chose, et l’existence du mal ? Pouvons- nous dire que Dieu est plein d’amour et qu’il serait à l’origine du mal, ou, au mieux, qu’il laisserait faire ? Nous ne pouvons tenir ensemble ces trois affirmations : Dieu est plein d’amour, Dieu est tout-puissant et le mal existe. Dans la pensée du process, notre image de Dieu se transforme. Elle devient d’une part la finalité des choses et, d’autre part, la capacité à transformer les événements. Nous concevons bien que ce n’est modestement qu’une voie, qu’une piste face à la douloureuse épreuve du mal en maintenant la foi comme une relation. Le Dieu du process est plus proche de celui de Genèse 1 (la transformation des chaos de l’existence) ou de Luc 24 (le tombeau vide à dépasser malgré tout) que des visions sulpiciennes de certaines décorations d’églises baroques… Il existe bien sûr d’autres pistes que nous pourrions aussi défendre. Mentionnons bien sûr l’un des plus éminents théologiens du XXe siècle, Paul Tillich (1886-1965), qui dans une série de conférences de 1955 (traduction française de J.-P. Gabus dans « Religion biblique et ontologie », Paris, Presses Universitaires de France, 1970), développa l’idée d’un « supra-personnalisme », c’est-à-dire l’idée selon laquelle nous devons en même temps conserver l’idée d’un Dieu personne, en relation, et affirmer que Dieu est bien au-delà de l’idée de personne. On retrouve déjà cette thématique chez Luther, lorsqu’il distingue le Dieu « caché », en soi, et le Dieu « révélé », c’est-à-dire en relation avec l’être humain.

La conception d’un Dieu énergie n’est pas le monopole du christianisme. Nous l’avons illustrée avec une expression religieuse de l’Égypte ancienne. Mais nos trois religions sœurs ont été et sont traversées par ces tentatives de concilier théisme et Dieu-énergie. L’art aussi, notamment depuis la seconde moitié du XIXe siècle, explore, par son langage et sa symbolique, de nouvelles façons d’exprimer l’ultime. Nous voudrions mentionner ici un seul exemple : George Frederic Watts (1817-1904). Cet artiste, qui se rallia au mouvement« symboliste » puis s’en distingua, chercha, au travers de ses oeuvres, très variées, à exprimer cet « ultime », cette transcendance. Dans une sculpture de la fin de sa vie, en 1902 (reproduite en couverture et page 12), il fit une version épurée du Dieu-énergie. Elle a pour titre « Physical Energy » et représente un cheval en plein mouvement, chevauché par un homme qui regarde au loin. Dieu n’est ni dans cet être humain, ni dans le cheval mais dans ce double mouvement d’aller en avant et de regarder au loin. Dieu événement : une vision du Royaume ? Nous suivons volontiers cet artiste dans cette énergie…

Les conséquences sociales et spirituelles d’un « Dieu-énergie »

Si l’on procède à cette révolution de l’image de Dieu, cela n’est pas sans conséquences. Comme chrétiens, cela détermine notre foi mais aussi sans doute notre « manière d’être au monde », notre éthique, notre engagement dans ce monde. Comprendre l’ultime comme force de proposition et puissance de transformation modifie notre perception du monde et notre potentialité d’action. Prenons ici cinq exemples, volontairement variés, qui vont de la spiritualité à l’actualité : la prière, la christologie, l’écologie, la gestion des entreprises et la gestion des crises religieuses. Nous ne faisons ici qu’ouvrir des débats qui sont impactés par cette révolution du process.

La prière

L’image classique de Dieu, ce grand-père du XIVe siècle, associée à une dogmatique richement élaborée par un magistère auto-proclamé, nous engage dans une certaine interprétation du rôle de la prière. Ce Dieu Père, personne, est l’origine de nos vies, et même sans doute l’origine des événements qui nous arrivent. Le prier revient à lui faire nos doléances de fils-filles à leur père, voire de vassaux à leur suzerain. Libre à lui d’accepter ces doléances, ou non. Cette image, certes caricaturale (mais à peine), est l’expression d’une foi soumise à une volonté toute-puissante qui aurait besoin, pour agir, de se faire prier. C’est aussi l’image d’un Dieu qui peut « envoyer des épreuves » ou changer d’avis selon la « qualité » de la prière. Disons-le tout net : nous sommes les athées de ce dieu-là. Si l’on fait le choix du Dieu compris comme énergie de transformation, alors nous déplaçons le sempiternel débat sur l’efficacité de la prière. Celle-ci classiquement se mesurait au fait que Dieu exauçait ou non notre prière, par exemple, pour qu’une personne aimée ne meure pas. Pour avoir fait récemment, à Évangile & liberté, l’expérience d’une mort injustifiée, bouleversante et prématurée, nous réfutons catégoriquement cette vision d’un Dieu « efficace » à la mesure d’une foi ou d’une prière. En revanche, cette « efficacité » (même si le mot reste douteux) peut être celle de recevoir, dans cette relation intime, ultime et mystérieuse de la prière, l’énergie nécessaire pour pouvoir agir, avec nos limites humaines. Alors nous revendiquons l’efficacité de la prière. Serions-nous capables, sans cette énergie, d’aimer autant que nous le faisons et d’agir autant que nous le faisons ? Posons-nous cette question.

La christologie

Il y aurait sans doute besoin de plus d’un numéro de notre revue pour évoquer cela. Disons alors simplement que l’intuition de la théologie du process est encore une fois de déplacer le débat sur la « nature » du Christ. Est-il humain ? Divin ? Les deux ? Ce débat nous a si souvent opposés… Comprendre Dieu comme une énergie et non comme une personne nous fait relire autrement le prologue de l’évangile de Jean : « Et le verbe s’est fait chair » (Jn 1,14a). Le « verbe », la « parole », logos en grec, peut être perçu comme cette énergie créatrice, cette même Parole que nous avons évoquée en référence à Genèse 1. Cette parole-énergie a été pleinement reçue par Jésus. La question n’est plus alors de débattre sur sa « nature » divine, mais sur la divinité de sa parole-action et donc son énergie de proposition et de transformation. On peut relire alors tous les récits de guérison avec enthousiasme !

L’écologie

Ce n’est pas un hasard si les théologiens du process se sont largement engagés, et depuis plus longtemps que beaucoup d’autres, sur ce terrain-là. Comprendre le monde, le réel, comme un flux d’événements, nous rend modestes. Nous ne sommes qu’une somme d’événements qui nous constituent, même si le nombre de ceux-ci est plus grand que pour une plante, et leur enchaînement est un peu plus complexe que pour un caillou ! Mais le monde n’est pas fixe. Or, une transformation peut être le retour vers un chaos ou, au contraire, le projet d’un monde meilleur. C’est pour cela que nous concevons l’écologie comme un pouvoir de transformation positive du monde. Nous refusons donc tout autant le saccage de la planète (le chaos) que le retour à une nature « musée », à simplement préserver, où l’on supprimerait toute idée de transformation. Le changement n’est ni bon, ni mauvais ; il est tel qu’on le fait. Le changement, c’est maintenant !

La gestion des entreprises

Sans doute les religions sont-elles passées à côté de ce vrai fléau de la société. On les a entendues sur bien des sujets, peu sur celui-là. Or, il y a là un véritable enjeu sociétal mais aussi anthropologique et spirituel : comment considérons-nous les êtres humains dans les entreprises d’aujourd’hui ? Force est de constater que l’être humain (re)devient un objet de production tout au plus. Combien de situations individuelles catastrophiques, générées par des stress insurmontables ou des conditions déplorables, et ce à tous les niveaux du monde économique ? Si l’on conçoit l’humanité comme une somme d’événements interactifs, alors on peut concevoir une « équipe », qu’elle soit de football ou d’entreprise (ou même d’Église), comme une somme d’interactivités. La réussite d’une équipe tient autant à la mise en valeur des talents individuels qu’à leurs dépassements au service d’un collectif et d’un projet. Aujourd’hui, un certain nombre d’entreprises comprennent cela et développent un management « collaboratif ». Un être humain heureux est un être humain productif… Il en va de même dans notre relation au divin qui est cet ultime qui nous dépasse tous, sans pour autant vouloir effacer nos qualités personnelles.L’homme du process n’est pas un homme soumis ; c’est un collaborateur de Dieu.

La gestion des crises religieuses

Bien entendu, nous pensons immédiatement à ce cancer absolu de l’islamisme qui ronge l’islam et notre monde. Mais là encore, si nous rentrons dans une logique de simple affrontement, nous faisons le jeu du chaos et faisons gagner ceux qui voudraient instaurer la haine entre les êtres humains. Lorsque l’islamophobie se lâche, au nom de nos peurs légitimes, ou lorsque l’islam devient notre seul objet de débat politique, nous marchons tranquillement vers le chaos. Nos religions, et même nos convictions, doivent nous pousser, si l’on croit à une transcendance de transformation, à refuser les logiques de repli sur soi. La « parole » doit traverser notre humanité, c’est l’étymologie même du mot « dialogue ». Nous sommes résolument dans l’action. La passivité, c’est le « tohu-bohu » de Genèse 1. Encourageons toutes les visions de Dieu qui mènent à une forme d’humanisme, de discours sur la valeur de chaque être humain.

Dieu l’énergie du courage !

Nous l’avons dit, face à l’inévitable question de nos représentations de Dieu, nous avons bien des réponses et des imaginaires possibles. Mais posons-nous chacun cette question : ma vision de Dieu me mène-t-elle à la vie, à la fraternité et au pouvoir de transformation ou bien à la mort, au repli et à la passivité de la gestion d’une simple tradition ? Cette question dépasse largement le cadre de nos réflexions de foi ou de pratique religieuse. En cette période où notre monde se cherche, prend peur (et on peut le comprendre !), se replie, quel sera notre courage ? Notre passé peut devenir notre passif, ou bien il peut être une graine du Royaume. Paul Tillich, que nous avons mentionné, écrivit un livre dont le titre est déjà notre programme : Le courage d’Être.

À lire l’article de Henri Persoz  » Un Dieu inconnaissable « 

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À propos Jean-Marie de Bourqueney

est pasteur de l’Église protestante unie. Il est actuellement à Paris-Batignolles. Il est notamment intéressé par le dialogue interreligieux et par la théologie du Process.

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