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Les enjeux de la laïcité aujourd’hui

Cadène Nicolas 3Dans notre société, trop souvent divisée et inquiète pour son avenir, la laïcité constitue un élément décisif pour vivre ensemble et, au-delà, pour faire ensemble. L’histoire de France a montré combien notre laïcité avait finalement permis l’apaisement dans un pays qui a particulièrement souffert des guerres de religions. Mais la laïcité ne peut permettre le vivre ensemble que si elle est bien comprise et appréhendée. Dans le cas contraire, loin de rassembler, sa mauvaise interprétation ou sa mauvaise application peut conduire à la division, ou pire à l’exclusion.

Rappelons-le, la laïcité repose sur plusieurs principes : la liberté de conscience, la séparation des pouvoirs politique et religieux, et l’égalité de tous devant la loi quelle que soit leur croyance ou leur conviction. Elle garantit à tous la liberté de croire ou de ne pas croire et la possibilité de l’exprimer, dans les limites de l’ordre public. Elle suppose également la séparation de l’État et des organisations religieuses, de laquelle se déduit la neutralité de l’État, des collectivités et des services publics, non de ses usagers. La République laïque assure ainsi l’égalité des citoyens face au service public, quelles que soient leurs convictions ou croyances.

La France est profondément attachée à ses principes républicains. Mais, en période de crise, il y a des replis sur soi et sur des valeurs traditionnelles, des pratiques religieuses parfois réinventées, et des pressions communautaristes voire des provocations contre la République – souvent plus médiatisées qu’auparavant –, en particulier dans des quartiers trop longtemps laissés à l’écart, où le sentiment de relégation sociale est très fort.

En parallèle, il y a une forte crispation autour de la visibilité religieuse et de toute expression religieuse, essentiellement dans l’hexagone où la diversité est plus faible que dans les Territoires d’Outre-mer. Il y a donc une tension, et les conflits internationaux ainsi que la situation économique et sociale n’y sont pas étrangers. Nous touchons ici plusieurs difficultés qui, en réalité, ne sont pas directement liées à la laïcité.

On le sait, la laïcité est trop souvent utilisée pour répondre à tous les maux de la société. Elle est trop souvent utilisée comme un concept « fourre-tout » pour définir des situations qui relèvent bien souvent d’une multitude de champs, tels que les politiques publiques, la situation sociale, la lutte contre les discriminations, la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme, ou encore l’intégration. Si ces sujets ne sont pas directement liés à la laïcité, en revanche, l’effectivité de la laïcité suppose la lutte constante contre toutes les inégalités et discriminations, qu’elles soient urbaines, sociales, scolaires, de genre ou ethniques.

C’est pourquoi, et c’est un défi majeur dans une société traversée de tensions et de peurs, pour tout sujet lié à ce principe fondamental, nous devons collectivement apporter de manière pédagogique les éléments nécessaires au débat. Ce, d’autant plus que les médias ne le font guère, ayant trop souvent tendance à alimenter les confusions et les amalgames, et ainsi le ressentiment d’une partie de la population.

Dans le cadre de cette nécessaire pédagogie de la laïcité, l’Observatoire de la laïcité a édité des guides pratiques qui expliquent comment répondre à des problématiques de terrain, très concrètes, en lien avec le fait religieux et la laïcité (ces guides sont accessibles et librement téléchargeables sur le site Internet de l’Observatoire de la laïcité : www.laicite.gouv.fr).

Un de ces guides traite spécifiquement de la gestion du fait religieux dans l’entreprise privée (ou le secteur associatif), aujourd’hui si souvent évoquée dans les médias. Il y a un point commun aux réponses qui doivent ici être apportées : la justification objective. Le ressenti et la subjectivité ne doivent pas être des critères, car s’il n’y a aucun trouble objectif et si la mission du salarié ou de l’encadrant est parfaitement remplie, sanctionner ce qui serait alors une simple apparence relèverait de la discrimination. En revanche, la manifestation du fait religieux peut être encadrée voire interdite pour des raisons strictement objectives : des raisons d’hygiène et de sécurité, ou de bonne marche de l’association ou de l’entreprise.

On le constate, bien des acteurs de terrain se sentent « mal outillés », navigant ainsi entre deux positions incompatibles avec la laïcité : tout autoriser (et favoriser ainsi les particularismes) ou tout interdire (et générer de nouvelles discriminations). Le juste équilibre, ce n’est pas de répondre à un intérêt particulier mais toujours d’offrir une réponse d’intérêt général, dans le cadre des limites posées par la loi.

Il faut savoir garder la tête froide. Il faut appliquer le droit, avec fermeté mais également avec discernement. Mais il ne faut surtout pas transformer la laïcité en une série de nouveaux interdits. Cela serait contraire à l’esprit libéral qui guidait les « pères fondateurs » de la laïcité, et ne pourrait qu’alimenter un discours victimaire et, par voie de conséquence, les provocations et les extrémismes religieux et politiques.

Plus largement, au-delà des réponses pratiques à rappeler, la promotion de la laïcité et du vivre ensemble passe par des mesures culturelles, éducatives et sociales. Je pense notamment au développement du service civique ; au développement de l’enseignement laïque des faits religieux ; à la mise en place effective de l’enseignement moral et civique ; et bien sûr, pour notamment éviter toute mésinterprétation, à la multiplication des formations à la laïcité partout sur le territoire pour tous les acteurs de terrain et les fonctionnaires.

Il apparaît également nécessaire d’assurer, au sein des programmes scolaires et des politiques culturelles, la prise en compte de toutes les cultures présentes sur le territoire de la République. Cette question de l’intégration dans le récit national des jeunes Français d’origine, notamment, les Territoires d’Outre-mer, maghrébine, subsaharienne ou asiatique, est essentielle et participe à l’appartenance à la République. De fait, toutes ces cultures et cette diversité qui ont permis de construire une histoire commune et qui ont façonné la France ne sont pas suffisamment traitées. Notre pays est encore présent sur les cinq continents et son histoire est empreinte de cultures créoles, africaines, asiatiques et de bien d’autres. Trop peu de personnes connaissent pourtant l’émir Abd el-Kader, Đèo Văn Tri, Léopold Sédar Senghor ou Henry Sidambarom.

Il faut comprendre la laïcité comme la clé de la construction de la citoyenneté qui fait de chacune et de chacun d’entre nous, au-delà de nos appartenances ou de nos origines, des citoyennes et des citoyens à égalité de droits et de devoirs. La laïcité nous permet d’aller au-delà de nos différences, de les dépasser tout en les respectant et, même, en en faisant une richesse.

Notre laïcité garantit la liberté de croire ou de ne pas croire et la possibilité de l’exprimer dans les limites de la liberté d’autrui. C’est une incroyable avancée lorsque l’on pense aux nombreux États dans le monde où l’on ne peut pas avoir certaines croyances, changer de religion, ne pas croire ou être agnostique.

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À propos Nicolas Cadène

est rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre.

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