L’enseignement de Jésus passe aussi par un certain nombre de « paraboles » : comparaisons qu’il tire de la vie courante pour essayer d’expliquer comment fonctionne le « Royaume de Dieu », c’est-à-dire ce que Dieu peut attendre de l’homme et réciproquement, et comment vivre ensemble.
Dans chaque parabole, il faut toujours commencer par essayer de trouver où est Dieu, par qui il est représenté ; et où nous sommes nous. Dans la parabole des vignerons, ce n’est pas très compliqué : Dieu est, comme souvent, le maître. Alors nous, nous sommes les vignerons.
Et nous pouvons dès lors trouver des enseignements importants. Tout d’abord que Dieu a besoin de nous, comme le maître a besoin d’ouvriers. Nous pouvons travailler pour lui, faire des choses pour l’aider. L’homme a un rôle réel dans le monde et Dieu ne peut pas tout faire tout seul. La vigne, elle, c’est, bien sûr, le monde.
Or, curieusement, le maître est montré comme s’absentant : c’est curieux, parce que nous avons par ailleurs la promesse que Dieu est toujours avec nous, « tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Donc Dieu ne nous abandonne jamais. Mais on peut avoir parfois l’impression que Dieu n’est pas là. Ce que nous pouvons faire alors, c’est de travailler pour lui. Même si notre foi n’est pas formidable, nous pouvons toujours travailler dans le monde pour faire la volonté de Dieu. Ou alors, c’est pour dire que, pour ce qui est de l’action, nous devons faire comme si Dieu n’était pas là, comme s’il nous avait confié le monde pour faire nous-mêmes ce que nous aurions voulu qu’il fasse. Nous voudrions par exemple qu’il y ait de la paix, de la fraternité, de la justice dans le monde : il ne s’agit pas tant de le demander à Dieu dans nos prières que de nous mettre nous-mêmes au travail pour l’apporter, tant que possible, dans ce monde.
D’ailleurs, quels sont les fruits que Dieu attend que nous cultivions dans ce monde ? Du raisin pour faire du vin. Or le vin dans la Bible, c’est le symbole de la joie et de la fête. Voilà donc ce qu’il attend de nous : que nous portions dans ce monde des pleines grappes de joie, de bonheur et de bien-être. Et ce, pour nous, bien sûr, mais aussi pour en avoir à redistribuer aux autres. D’une manière plus générale, les fruits que Dieu nous demande de porter, Paul dans une épître les a listés : « Le fruit de l’Esprit c’est : l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi. » (Ga 5,22)
Et puis Dieu laisse les vignerons ; ils peuvent, évidemment, consommer autant qu’ils veulent de ce qu’ils font pousser. Nous pouvons donc profiter de la vie, de la terre que Dieu nous confie, mais Dieu vient rappeler de temps en temps qu’il serait bien de partager avec les autres, de ne pas tout garder pour soi, mais d’en donner. La parabole dit que le maître veut aussi avoir une « part des fruits de la vigne ». Dieu, là, sans doute, représente l’universel, le monde, les autres que nous en fait. De même que Jésus a dit qu’« aimer Dieu de tout son cœur » était semblable à « aimer son prochain comme soi-même » (Mt 22,39), ici ce que le maître demande, c’est de ne pas travailler dans le monde qu’à son propre plaisir, mais d’en avoir aussi à redonner aux autres.
Pour cela, le maître envoie des serviteurs. Sans doute sont-ils historiquement les prophètes, et nous savons qu’ils ont été souvent maltraités et mis à mort. Le monde n’aime pas qu’on le rappelle à l’ordre, ni qu’on veuille le sortir de son égoïsme. Pour nous, ces serviteurs, ce sont les pasteurs, les prêtres, les croyants qui nous rappellent à l’amour, au service, au don, au pardon. Et sans les mettre à mort, souvent nous préférons les mettre de côté pour ne pas avoir à les écouter.
Alors le maître finalement choisit d’envoyer son propre fils. Évidemment, on pense à Jésus, le « fils de Dieu ». Il est venu en effet pour nous inviter à tourner notre vie vers les autres, et à participer à la création d’un monde meilleur.
La mort du fils
La parabole nous donne alors au passage une indication très importante concernant Jésus. On a dit souvent dans les catéchismes que Dieu avait envoyé son fils « pour qu’il meure sur la croix ». Comme si la mort de Jésus était le but de sa venue. Ici, nous voyons qu’il n’en est rien. Le fils n’est pas envoyé pour mourir, il est envoyé pour faire passer un message. Donc le but de la venue de Jésus sur terre n’était pas de mourir, comme si sa mort pouvait en elle-même avoir quelque chose de positif, mais de proclamer son Évangile. Si Jésus est mort, d’après la parabole des vignerons, c’est plutôt parce que les hommes n’ont pas voulu l’écouter, c’est en quelque sort l’échec de sa mission. Mais Dieu est un malin, et il saura retourner la situation et faire de cette mort le point de départ d’une ère nouvelle. Et puis, même si la mort de Jésus n’est pas, en tant que telle, voulue par Dieu, cette parabole a tout de même été dite avant que Jésus meure. On peut donc penser que Jésus, avec Dieu, savait très bien comment finirait son histoire : il savait que son rejet et sa mort étaient inéluctables, et il l’a assumé pleinement comme quelque chose de nécessaire pour aller au bout de sa mission.
La haie, la tour et le pressoir.
Reste que, si Dieu compte sur nous pour cultiver le monde et faire en sorte qu’il donne de bons fruits, pour nous et pour les autres, il ne nous laisse pas sans ressources. Il prend la précaution, avant de partir, d’offrir trois cadeaux aux vignerons : il met une haie, il construit une tour et installe un pressoir. Ces trois choses sont essentielles et représentent ce que Dieu nous donne pour nous aider à bien vivre et à remplir notre mission.
La haie était, bien sûr, une haie de protection pour éviter que les maraudeurs ou les bêtes sauvages ne viennent grappiller les raisins. C’est vrai aussi dans notre vie : nous ne sommes pas vraiment seuls, livrés à un monde difficile, mais nous pouvons mettre notre confiance et notre espérance en Dieu, il nous protège. La foi elle-même est une aide, elle permet de rester en paix et en tranquillité dans l’intimité de la présence de Dieu.
La tour était une tour de guet : c’est pour nous la possibilité de nous élever au-dessus du quotidien du monde matériel. Et le croyant, c’est dans la foi qu’il peut prendre de la hauteur dans une démarche spirituelle, en voyant les choses de plus haut, en pouvant les relativiser ; c’est aussi de pouvoir anticiper les difficultés de la vie avant qu’elles ne nous frappent comme le veilleur voit arriver de loin l’ennemi et peut s’y préparer. Et puis dans la foi, on s’élève du matériel vers le spirituel, et le matériel lui-même est remis à sa juste place.
Le pressoir enfin permet de séparer le bon du mauvais. On y met tout ce que la vigne produit, et ensuite, ce qui ne vaut rien, le « marc », est jeté quelque part, et on ne garde que le bon jus. C’est là un travail de discernement qui est essentiel. Notre vie aussi produit du bien et du mal. C’est un fait, et cela n’est pas culpabilisant ; le tout, c’est que nous sachions mettre le moins bon de côté pour ne pas en importuner les autres, et ne donner que le meilleur au monde. Mais pour cela, il faut un outil de discernement : savoir reconnaître le bien du mal. Pour cela l’enseignement du Christ est essentiel : l’Évangile permet de savoir ce qu’est la volonté de Dieu. Le Christ lui-même la résumera par le « sommaire de la Loi » : l’essentiel, c’est l’amour. L’amour, l’attention à l’autre, l’accueil de l’autre et le don à l’autre sont les critères fondamentaux permettant de savoir ce qu’est le bien.
Ainsi nous avons ces trois cadeaux de Dieu qui nous accompagnent, nous aidant à remplir notre mission, et ces trois « grâces » ne sont rien d’autre que les trois « vertus théologales » citées par Paul en 1 Co 13,13 : la foi, l’espérance et l’amour. La foi, c’est de s’élever au-dessus du monde terrestre comme dans une tour, l’espérance, c’est la confiance que nous pouvons mettre en Dieu qui nous protège, et l’amour, c’est le critère fondamental du bien, ce que nous sommes appelés à savoir donner à partir de notre existence, faite de bien et de mal.
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