À l’occasion du cinquantenaire de la mort d’Albert Schweitzer le 4 septembre 1965, il nous a paru important de publier deux recensions le concernant : l’une sur un livre qui lui est consacré (Albert Schweitzer, la compassion et la raison, cf. ci-dessus), l’autre sur un livre de lui : L’Esprit et le Royaume, recueil de 30 prédications remarquablement traduites, introduites et annotées par Jean-Paul Sorg.
C’est une excellente idée d’avoir choisi 15 sermons portant sur le Royaume de Dieu et 15 autres sur l’Esprit Saint. On avait déjà deux recueils de prédications : Vivre (Albin Michel, 1970) et Agir (Ampelos, 2009) ; avec le présent ouvrage, on peut lire ainsi en tout et pour tout 69 prédications sur les 334 publiées en allemand ! Ajoutons à cela Les sermons de Lambaréné (dans la revue Études schweitzeriennes, 2002, no 10).
Ces 30 sermons sont courts, sobres, dépris de tout lyrisme, Schweitzer n’aimant pas, comme il l’écrit, les « effets de rhétorique ». Ils recouvrent une période allant de 1898 à 1919 et ont été prononcés à Saint- Nicolas de Strasbourg (sauf deux d’entre eux à Gunsbach). Ils sont simples, de style direct, comportant de nombreuses comparaisons empruntées, comme très souvent avec Schweitzer, à la nature.
Du Royaume de Dieu, Schweitzer écrit qu’il n’est pas situé dans un « inaccessible lointain », mais qu’il est appelé à se développer sur la terre et qu’il « devra à la fin englober l’ensemble de l’humanité ». On se rappellera que pour Schweitzer, le Royaume de Dieu « occupe le centre du message de Jésus ». Il ne s’agit pas là, pour nous, d’une attente passive, mais d’un combat où la foi et la volonté se conjuguent : « La volonté de justice, le sens de l’humain et l’exigence de vérité forment ensemble le fondement du Royaume de Dieu. » Schweitzer n’a jamais varié sur ce point décisif de sa pensée.
Pentecôte est la fête préférée de Schweitzer, « la plus belle des fêtes », la plus joyeuse aussi, celle qui nous appelle à « revivre » chaque jour un événement passé et non dépassé. Avec lui en effet, « en chacun de nous se joue un morceau de l’histoire de l’humanité ». Pour Schweitzer, « la religion n’est rien d’autre que la lumière intérieure de notre âme » et la foi en l’Esprit Saint représente ce « qui exprime au mieux l’essence de notre religion ». La prédication de 1905 portant sur « N’éteignez pas l’Esprit » (1 Th 5,19) est saisissante, peut-être la plus belle du recueil. Schweitzer y montre que l’Esprit de Dieu empêche les Églises, leur prédication et leur catéchèse, d’être « fonctionnarisées », nous ouvre à une « entière liberté », à une « forme d’excentricité », à un refus des « conventions ». Pentecôte est un appel lancé aux « déraisonnables », à des hommes « réfractaires aux préjugés » et aux conseils d’une prétendue « sagesse ». Il ne s’agit pas seulement de se libérer des dogmes, mais « d’atteindre cette forme de liberté supérieure qui dans l’action et les relations entre les personnes obéit aux impulsions de cet Esprit, sans se laisser intimider par la voix de la raison et les convenances ».
Plusieurs prédications ont un thème original : Ponce Pilate, l’Association libérale, le chantre du piétisme luthérien Spener (1635-1703), le 400e anniversaire de la naissance de Calvin. D’autres portent sur la Trinité, la divinité de Jésus (« qui s’est maintes fois trompé au cours de sa vie »).
Une somme, tout éclairée par la conviction d’un salut universel : « Nous ne pouvons concevoir de damnation éternelle, mais seulement un éternel processus de délivrance. »
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