Dans le sillage de la révolution que voulait apporter Jésus lui-même, Paul a voulu faire comprendre à ses contemporains que le respect de la Loi n’était pas un but en soi, mais qu’il fallait la considérer avec intelligence. Celle qui permet de savoir où sont la compassion et la justice de Dieu. « La lettre tue, mais l’esprit donne la vie », écrit-il dans sa deuxième lettre aux Corinthiens. Dès lors, frères, « c’est à la liberté que vous avez été appelés », dit-il aux Galates. Mais il s’aperçoit que cette liberté prêchée, et qui est aussi une libération, est mal comprise. Elle doit être au service du prochain et certains, notamment à Corinthe, en profitent pour confondre liberté et libertinage. Ou bien usent de cette liberté pour offenser inutilement certaines personnes.
Paul doit préciser sa pensée : « Tout est permis mais tout n’est pas utile. » Il prend souvent comme exemple la viande sacrifiée aux idoles. Il faut dire qu’à l’époque les boucheries n’existaient pratiquement pas et la seule viande accessible, en terre juive comme en terre païenne, était celle qui provenait des sacrifices. À proximité des temples s’étaient donc installés des restaurants qui proposaient cette viande de sorte que sa consommation revêtait forcément un aspect religieux. Aux environs de Jérusalem, les juifs n’avaient pas de problème pour aller consommer de temps en temps de la viande issue des sacrifices du Temple. Tandis que les juifs de la Diaspora et les chrétiens d’Asie mineure étaient placés devant un choix difficile : ou bien manger de la viande sacrifiée aux idoles païennes ou bien se passer pratiquement de viande.
Certains judéo-chrétiens, restés puristes et observants, refusaient la viande issue des sacrifices païens, qu’ils considéraient comme idolâtre, et pouvaient se choquer que d’autres chrétiens la mangent. Au contraire, les pagano-chrétiens la mangeaient avec moins de scrupules, puisqu’ils venaient eux-mêmes du paganisme, et se moquaient de certains judéo-chrétiens qui n’en mangeaient pas, l’apôtre ayant bien dit que l’on pouvait manger de tout, que rien n’était impur en soi. C’est l’amour disait-il qui est le plein accomplissement de la Loi.
Il écrit aux Romains : « Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas. Et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli. » Autrement dit : Ne jugez pas ceux qui pensent différemment de vous, ceux qui, en raison de leur conviction, n’usent pas de la liberté de la même façon que vous. Paul emploie deux verbes, juger et mépriser, et sous-tend que, dans le jugement que nous portons sur l’autre, il y a une teinte de mépris.
Certes il n’y a plus de Loi. Certes nous sommes libres d’entreprendre, libres de manger, libres de nous exprimer. Mais l’amour que nous devons à notre prochain doit passer par un discernement : comment mon comportement sera-t-il reçu par l’autre ? Celui qui ne voit pas les choses comme moi, celui qui est choqué par la façon dont j’use de ma liberté. Le fondement du christianisme consiste à accorder plus d’importance à l’autre qu’à soi-même.
Plutôt que de juger les autres, parce qu’ils n’ont pas les mêmes réactions que nous, cherchons à ne pas les scandaliser. Marcher selon l’amour, c’est limiter volontairement sa liberté, dit l’apôtre aux Romains, pour ne pas choquer. Il s’agit évidemment de limiter sa propre liberté, et en aucun cas celle de l’autre.
Saint Paul, suivant les positions prises déjà par Jésus, a pris ses distances par rapport à la Loi. Mais dans le contexte juif qui est le sien, que reste-t-il de la religion si la Loi n’est plus la manière de comprendre ce que Dieu nous demande ? La Loi est remplacée par la considération de l’autre. Si, en ayant tel comportement, tu attristes ton frère, tu ne marches plus selon l’amour.
Il est vrai que parfois le choix est difficile car le même comportement peut attrister certains et réjouir d’autres. Il nous faut vraiment du discernement.
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