Accueil / Culture / Héritiers sans le savoir des philosophes arabes

Héritiers sans le savoir des philosophes arabes

289-09-2La philosophie de langue arabe a-t-elle été « anonymisée », au point de ne plus savoir que nous en sommes les héritiers sans le savoir, tel un monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir ? Sans aucun doute. Averroès, Ibn Rochd de son vrai nom, réintroduisit la pensée d’Aristote dans le champ du débat. L’auteur nous le rappelle avec force. D’ailleurs, en allant plus loin que l’auteur lui-même, sans Averroès au XIIe siècle, point de Thomas d’Aquin au XIIIe qui s’appuya sur Aristote par le travail d’Averroès ; sans Thomas d’Aquin point de concile de Trente au XVIe siècle qui s’appuya sur Thomas d’Aquin ; sans concile de Trente, point de théologie officielle du Vatican encore valable aujourd’hui ! Bref, comme le Vatican sans le savoir, nous sommes enracinés dans la pensée arabe. Un autre exemple, encore plus philosophique : la philosophie des XVIIe et XVIIIe siècles se fonda en partie sur la distinction entre « essence » et « existence », et cela eut des prolongations jusqu’à Sartre et Simone de Beauvoir au XXe. Or ce fut Avicenne, Ibn Sina de son vrai nom, au XIe siècle, qui posa cette distinction ! Nous sommes les messieurs Jourdain de la pensée arabe ; ou même de la pensée de langue arabe, car un penseur juif comme Maïmonide écrivait en arabe. Entre latin et arabe, la pensée médiévale fut multiforme. Comme l’auteur, universitaire français, le rappelle à plusieurs reprises : si la Vérité est une, les chemins d’accès sont multiples. Mieux, ils sont entremêlés.

Parfois aussi, la pensée arabe a été « occultée » par une pensée européenne qui se sentait seule héritière de la pensée gréco-romaine. Par exemple Ernest Renan (1823-1892) refusa à la sagesse arabe l’idée même de son propre développement. Les thèmes de cette sagesse arabe furent multiples, mais ils interrogent aujourd’hui notre propre pensée. Parmi les nombreux thèmes abordés par l’auteur, je voudrais ici en évoquer trois. Tout d’abord, « l’intellect ». Il nous paraît acquis depuis Descartes (1596-1650) que la raison est une dimension personnelle (« je pense, donc je suis ») à partir de laquelle je peux « raisonner ». Les philosophies arabes partent plutôt d’une autre perspective : « l’intellect ». Je participe à celui-ci en entrant dans un processus collectif et historique de la pensée. Solitude ou collectif ? Telle demeure la question. Deuxièmement, le corps, quant à lui, sortit de l’objet de la philosophie, et de la théologie, sans doute marqué aussi par une dépréciation, issue de saint Augustin, de tout ce qui touche au corps et à la sexualité. Or, la plupart des penseurs médiévaux arabes étaient médecins ! Le corps a ses passions que la raison, à tort, ignore. Enfin la philosophie arabe fut une vraie philosophie apologétique, dans le sens où elle laissa, à partir de la rhétorique, une immense place à la pédagogie. N’est-ce pas un tout petit peu, beaucoup, passionnément, d’actualité ?

Un beau livre, de lecture certes académique, mais posant les bases d’une magnifique rencontre. De belles et salutaires retrouvailles !

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Jean-Marie de Bourqueney

est pasteur de l’Église protestante unie. Il est actuellement à Paris-Batignolles. Il est notamment intéressé par le dialogue interreligieux et par la théologie du Process.

Un commentaire

  1. bretonmali@hotmail.com'

    Mais il commet le même impair qu’il reproche aux Occidentaux. Pourquoi n’a-t-il pas parlé du grand historien et philosophe qu’était Al-Biruni ? Et pourquoi n’a-t-il pas, au moins, dit quelques lignes sur l’Inde puisque les Arabes ont beaucoup appris d’eux ? Rien, absolument rien. À côté d’eux, à côté de leurs connaissances et leur spiritualité, vous m’excuserez, mais les Grecs étaient de méchants enfants… Bref, Ali Benmakhlouf donne de l’histoire des idées arabes une étude avec un grand trou noir.

    Je vous invite à lire ma critique de son livre sur Le blog de Maroudiji.

    Bien à vous,

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading