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Peut-on encore croire à la résurrection ?

La mort fait partie de la vie. Pourtant l’homme ne peut s’y résoudre. L’idée de résurrection apparaît alors assez naturellement. Que signifie-t-elle pour le chrétien ?

  Les êtres vivants unicellulaires se multiplient en se divisant en cellules filles, de sorte que la mort est absente de leur processus reproductif : la même vie court sans interruption d’une génération à la suivante, sauf en cas de destruction de la cellule, par exemple lors de sa capture par un prédateur. Il en va tout autrement des êtres biologiques évolués dont nous faisons partie, qui se reproduisent en libérant des cellules particulières, les gamètes, à partir desquelles sont générés les individus descendants. D’un point de vue strictement biologique, le parent qui s’est ainsi reproduit ne se situe plus lui-même sur le fil ininterrompu de la vie reliant les générations entre elles. Il n’a donc plus d’utilité pour la survie de l’espèce et peut disparaître. La mort biologique des individus est apparue en lien avec ce mode particulier de reproduction.

  Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les premiers peuples humains aient perçu la mort comme une anomalie, la vie étant, dans son essence même, appelée à évoluer et à se transmettre sans cesse. On s’est mis à imaginer que sous une autre forme, détachée de son enveloppe corporelle, la vie se prolongeait au-delà de la mort physique. Il semblerait que les rituels et l’art sacrés se soient manifestés très tôt autour des sépultures, ce qui laisse penser que l’expérience de la mort est une des racines de la religion les plus profondément ancrées en l’homme.

  D’une manière ou d’une autre, toutes les religions de l’humanité ont cherché à percer le mystère de la mort, tant en le surmontant qu’en lui conférant un sens positif. D’un point de vue religieux, la mort possède en effet un « avantage » inattendu : en limitant l’existence temporelle de l’individu, elle invite l’homme à mesurer ses forces vitales, à s’interroger sur la différence entre l’être et le non-être, sur son origine et sa destinée. Le segment de notre existence terrestre apparaît d’un point de vue religieux suspendu dans un univers d’interrogations. Ce sont les limites mêmes de la vie qui donnent à « voir » leur prolongement vers ou à partir d’un point de fuite hypothétique.

  C’est donc bien à partir de l’expérience de la mort qu’il nous faut penser celle de la résurrection, et cela, le christianisme nous le montre de la façon la plus nette. En effet, après un temps d’intense activité où Jésus s’emploie à soigner partout la vie humaine, sa propre vie est frappée de mort cruelle, faisant de lui une victime de l’injustice. Ce qui est montré ici, ce n’est pas seulement la bonté de Dieu, sa grâce vivifiante, mais aussi la puissance destructrice du mal qui agit au travers des hommes. Et c’est à partir de ce constat d’échec de la vie humaine que surgit la résurrection, comme une proclamation de la victoire divine sur l’injustice, le mal et la mort dans leur ensemble.

  D’emblée, observons que la résurrection ainsi comprise ne correspond pas à une simple réactivation de la vie biologique après la mort, car un tel événement, même extraordinaire, ne suffirait pas à vaincre la puissance du mal. Il nous y replongerait au contraire, nous exposant inévitablement à mourir à nouveau, comme ce fut le cas de Lazare. C’est aussi sur ce point que la doctrine orientale de la réincarnation montre ses limites, en engageant l’individu dans une interminable succession de vies terrestres soumises à la corruption. Par ailleurs, si la foi chrétienne nous promettait simplement une vie sans fin dans l’au-delà, elle ne nous apporterait rien de bien différent de la religion pharao-questionnernique, par exemple, à ceci près que cette survie serait étendue à tous les sujets. Sur ce plan, le christianisme se trouverait même en recul par rapport au chamanisme et au spiritisme, qui invitent à entrer en dialogue avec les défunts.

  Tel que nous le présentent les textes de Pâques, Jésus ressuscité est autre qu’un homme réanimé, sa qualité de vie diffère entièrement de celle des personnes qui font de nos jours l’expérience d’un retour à la vie après un bref temps de mort clinique. Le fait que selon les évangiles, la mort de Jésus soit apparue à tout le peuple, tandis que sa résurrection n’est apparue qu’à ses disciples – et encore, de manière fort variée et souvent indirecte ou méconnaissable – conduit à penser que la résurrection est un événement intimement lié à la foi. Si certains croyants accentuent l’aspect corporel des apparitions du ressuscité (visible, palpable, etc.) pour éviter de trop spiritualiser le christianisme, d’autres soulignent que ces apparitions s’offrent à la subjectivité des disciples. Le lien de la foi de Pâques avec des faits historiques réels demeure donc à jamais une question ambiguë, car sa réponse dépend de ce que l’on entend au juste par « historique », l’histoire étant toujours un subtil dosage de faits objectifs et de perceptions subjectives.

  La confirmation de la résurrection, il ne nous faut donc pas la chercher dans l’histoire, mais dans notre propre expérience de croyant, car les événements ayant suivi la mort de Jésus appartiennent définitivement au passé et ne nous éclairent pas suffisamment sur le sens de la résurrection, dont la portée est bien plus vaste et profonde. En effet, parmi les premiers apôtres est apparue très tôt l’idée que Jésus n’était pas seulement ressuscité, mais qu’il était lui-même la résurrection dans toute sa personne, par la qualité de sa vie, de son activité et de son message. À partir de là, dans l’Église ancienne, la résurrection en est venue à désigner non seulement le moment de Pâques, certes exceptionnel, mais toute l’oeuvre que Dieu avait opérée au travers de Jésus et toute celle qu’il allait opérer dans l’histoire au travers des apôtres et de l’Église jusqu’à nos jours et à l’avenir. Dans une telle perspective, la résurrection équivaut pour finir au vaste mouvement de régénération de la vie en vue du renouvellement de tout l’écosystème universel.

  Un dernier point reste à préciser avant de conclure : si nous affirmons que la résurrection de Jésus est un fait permanent qui s’étend à l’univers entier, nous sommes amenés à penser que sa mort l’est également. Nous avons en effet précisé que sa résurrection n’a surgi qu’au moment où sa mort était aussi présente. Il semblerait donc que pour le christianisme, la mort soit un élément nécessaire, une composante à part entière de la résurrection, la vie ne pouvant être régénérée sans éprouver douloureusement l’abandon de son état antérieur. Ainsi, comme le dit l’apôtre Paul, nous portons constamment en nous-mêmes à la fois la mort et la résurrection de Jésus. Nous sentons bien, dans nos questionnements quotidiens, que notre vie intérieure se régénère à partir de ce qui se défait constamment en nous (nos espoirs déçus, nos vaines prétentions, nos croyances illusoires, etc.). L’aspect de la souffrance et celui de l’espérance sont intimement reliés dans notre vie croyante, et la même tension s’observe au niveau de l’histoire humaine dans son ensemble.

  Ressaisissons donc l’ensemble de notre propos : au lieu de nous libérer de l’angoisse de la mort au travers de la seule croyance en une vie future, tentative qui s’avèrerait insatisfaisante, le christianisme nous renvoie à la personne de Jésus, source et modèle de vie pour notre présent. La résurrection apparaît ainsi comme une puissance de vie qui, à partir de la figure de Jésus, surgit déjà au coeur de la vie présente, y laissant transparaître les signes avant-coureurs du règne de Dieu. D’une part, cette vision nous libère de la pensée mortifère selon laquelle la vie présente contiendrait strictement tout ce qui existe, rendant obscur le projet d’un Dieu qui aurait livré à l’existence des êtres aspirant à la vie pour les projeter ensuite définitivement dans le néant. D’autre part, cette même vision nous empêche de nous attacher à toute forme de représentation de l’au-delà qui dépasserait l’espérance de la foi. Nous sommes invités à reconnaître humblement les limites de notre raison, qui est incapable d’imaginer les contours d’une vie en dehors des cadres de l’espace et du temps qui balisent notre condition terrestre.

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À propos Gilles Bourquin

étudie la théologie protestante à Neuchâtel puis exerce le ministère pastoral en Suisse dans les cantons de Neuchâtel, Jura et Berne actuellement. Il est l’auteur d’une thèse de doctorat sur la théologie de la spiritualité, publiée chez Labor et Fidès, et a exercé durant 6 ans des fonctions de journaliste et corédacteur en chef aux journaux d’église La Vie Protestante NeBeJu puis Réformés romand.

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