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Emmanuel Kant :

Pour Kant, il existe une religion de raison, innée. Le rôle du christianisme, religion d’Église, est d’aider à réaliser la religion de raison.

  Le siècle des Lumières fut avant tout le siècle de la liberté et de la raison universelles, notions génératrices de notre mentalité moderne. L’esprit des Lumières nourrissait l’espérance que la pensée humaine, librement conduite par sa seule raison, allait affranchir l’humanité des ténèbres de la superstition religieuse et la conduire sur le chemin de la vraie connaissance et de la paix politique. Il ne s’agissait pas encore, comme au siècle suivant, d’avancer l’idée de l’athéisme, mais de concevoir une religion entièrement compréhensible par la raison, sans recourir à aucune révélation particulière comme celle de la Bible. La religion des Lumières fut donc avant tout le déisme, doctrine professant l’existence d’un Dieu créateur qui n’intervient pas dans la nature.

  Dans ce contexte, il s’agissait de redéfinir la place du christianisme. Entre les polémistes les plus durs envers l’Église, comme Voltaire pour lequel tous les dogmes étaient des préjugés sans fondement, et les théologiens les plus conservateurs, une série de penseurs, dont Jean-Jacques Rousseau et surtout Emmanuel Kant (1724- 1804), essayèrent d’établir un compromis entre l’esprit des Lumières et la foi chrétienne. Ils allaient être à l’origine des théologies libérales du XIXe siècle. La position de Kant est particulièrement intéressante car parallèlement à sa critique de la religion, le philosophe de Königsberg entame également une autocritique de la raison, clôturant et surpassant ainsi la philosophie des Lumières. Chez Kant, la raison devient son propre tribunal, où il apparaît qu’elle est incapable de juger théoriquement de l’existence ou de la non-existence de Dieu. Ce domaine revient à la seule foi. Selon Kant, l’idée de Dieu joue pourtant un rôle pratique indispensable, car les efforts moraux de l’homme, toujours imparfaits dans la vie présente, n’ont de sens que s’il existe un Souverain Bien, un Dieu extérieur à notre monde qui garantit l’accomplissement de ces efforts moraux dans la vie future.

  Aux yeux de Kant, dans la plus pure ligne des Lumières, cette religion morale se passe de toute révélation, de toute religion instituée et de toute forme de culte communautaire. Elle est fondée sur la conscience innée du Bien inscrite dans la raison de tout être humain. La religion de raison, c’est cette conviction universelle de posséder une libre volonté orientée vers le bien qui affranchit l’homme de ses instincts naturels et fonde son humanité. Dans ces conditions, à quoi peut bien encore servir la religion d’Église, le christianisme ? Kant lui assigne un rôle de pédagogue. La religion d’Église doit renforcer la religion de raison. Dans un passage clé de son livre La religion dans les limites de la simple raison (1793), Kant explique que nous avons besoin d’un exemple humain pour nous représenter « l’Idéal de l’humanité agréable à Dieu » et qu’un tel homme devrait nécessairement répandre le bien autour de lui tout en étant prêt à supporter les pires souffrances et la mort la plus ignominieuse, un tel « Fils de Dieu » devenant pour nous un modèle d’imitation.

  Kant précise enfin les dangers qu’occasionne la religion d’Église, qui ne doit jamais devenir un but en soi, mais toujours rester un moyen de mieux réaliser la religion de raison. Quand le culte ecclésial, les prières et les confessions de foi deviennent une obligation pour plaire à Dieu, cette fausse religion s’oppose diamétralement à la religion morale, c’est-à-dire à la pratique du bien qui est selon Kant la seule manière légitime de plaire à Dieu. Il s’ensuit que la foi en la grâce divine, centrale pour le protestantisme, est à peine acceptable dans la pensée de Kant, qui y voit le risque d’une solution de facilité.  

  Emmanuel Kant, La religion dans les limites de la simple raison (1794), OEuvres Philosophiques III, Les derniers Écrits, Paris, Gallimard (Pléiade), 1986, p. 76.

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À propos Gilles Bourquin

étudie la théologie protestante à Neuchâtel puis exerce le ministère pastoral en Suisse dans les cantons de Neuchâtel, Jura et Berne actuellement. Il est l’auteur d’une thèse de doctorat sur la théologie de la spiritualité, publiée chez Labor et Fidès, et a exercé durant 6 ans des fonctions de journaliste et corédacteur en chef aux journaux d’église La Vie Protestante NeBeJu puis Réformés romand.

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