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La prière

 

Un bon pasteur doit pouvoir prier en toutes circonstances. Je l’avoue – honte à moi ! – parfois je n’ai pas su le faire. J’envie certains collègues connectés en permanence. Ou peut-être ont-ils des recettes pour joindre à la demande celui qu’ils prient. Pour ma part, rien d’automatique, encore moins d’immédiat. Bien sûr, c’est ma faute ; celui à qui je veux parler, ou que je veux entendre, est sans doute là tout proche et c’est moi qui suis sourd à sa voix, ou que ma parole ne sait pas atteindre. C’est moi sûrement qui suis fermé à sa présence.

Je ressens d’abord cette expérience étrange qu’on appelle la prière comme une ouverture intérieure à une force qui me dépasse. Souvent j’ai besoin d’espace physique et mental pour que la porte s’ouvre. Parfois je ne trouve plus la clé.

La prière est inséparable de l’image qu’on a de Dieu

Bien sûr la forme et le sens de la prière dépendent en premier lieu de l’image que je me fais de Dieu. Si je crois encore qu’il dirige tout, qu’il a tout prévu et tout organisé, même si je n’y comprends rien, je n’ai pas trop besoin de prier, sinon pour dire merci ou demander quand même quelques éclaircissements, espérant ainsi mieux saisir et mieux accepter ce qui m’arrive et ce qui m’entoure.

Maintenant si je pense comme beaucoup que Dieu intervient à la demande, je dois alors lui lancer mes appels sans jamais me décourager. Si je veux éviter de paraître égoïste, c’est surtout pour les autres que je m’adresse à lui.

La prière d’intercession ?

Ainsi la longue litanie des prières dites d’intercession, avec son catalogue presque exhaustif des malheurs du monde et des souffrances humaines. Après je me sens plus léger, à condition de ne pas trop vérifier leur efficacité. En ces temps troublés, combien d’individus et de communautés ont prié pour la paix ou pour la justice ? Et pour quel résultat ? Peut-être alors devrais je concentrer mes demandes sur quelques personnes, ou même une seule ?

Il y a quelques mois un petit garçon marocain était tombé au fond d’un puits étroit et très profond. Autour de ce trou, une belle chaîne de prière internationale et interreligieuse s’était nouée, tandis que des équipes de sauveteurs s’acharnaient à creuser jour et nuit. L’enfant est mort. Ces prières étaient-elles mal faites, superficielles, ou en décalage avec un “plan divin” inaccessible aux mortels ? Je croyais pourtant que celui qu’adorent juifs, chrétiens et musulmans était Dieu de vie et de miséricorde !

Je peux penser alors qu’il faut me limiter à prier pour des proches, ou ceux avec qui j’ai tissé des liens personnels (le petit Marocain n’était peut-être pour beaucoup qu’une abstraction médiatique, aussi émouvante qu’un bon feuilleton télévisé). On connaît par ailleurs l’hypocrisie de certaines prières de délégation : Seigneur, à toi d’agir ! J’ai un voisin malade, une vieille tante dépressive, moi je ne peux pas grand-chose et je n’ai pas le temps. Ou pour cette injustice révoltante dont je suis témoin chaque jour, vraiment je ne peux rien faire ; à toi de jouer !

La prière pour soi ?

Je peux aussi heureusement prier pour moi-même, ma santé, mes amours, ma réussite. On voit même certains sportifs à l’aube de leur compétition prier pour leur victoire, donc à la fois – mais c’est un détail – pour la défaite de leur(s) adversaire(s). Dieu agit-il de façon sélective, à condition qu’on le sorte de sa torpeur, ou qu’on s’adresse à lui avec le respect et la confiance qui lui sont dus ? Notre point de vue libéral est connu : Dieu a besoin de nous. Sa puissance passe par nos mains, par nos paroles, par notre engagement. Avec lui tout est possible. Sans nous rien n’est possible.

Pourtant on me dit que parfois la prière elle-même est efficace : des malades ou des malheureux guérissent ou sont sauvés. Existerait-il alors une force mystérieuse qui dans la prière passe de l’un à l’autre ? Rejoindre Dieu, ce serait ainsi mystérieusement entrer en connexion avec les autres, même au loin ! Laissons cette question ouverte pour l’instant.

Bien sûr, la prière de demande n’est pas la seule. D’autres formes sont particulièrement prisées dans nos mœurs protestantes, ainsi pour demander pardon et pour dire merci. Dans la repentance, je dépose devant lui mes fautes, mes erreurs, pour repartir ensuite allégé de leur fardeau. Le Dieu auquel je crois ne se lasse jamais d’ouvrir un avenir nouveau où je peux alors m’engager, lesté de tout ce qui m’enchaîne et me tire en arrière. Bien sûr, s’il s’agit juste d’effacer les ombres du passé sans la volonté de changer, c’est une démarche complaisante et vaine.

Reconnaissance aussi pour tout ce qui m’est donné à voir, à entendre, à vivre, à partager, toute la beauté, la lumière, l’espérance. Merci de toutes les possibilités offertes. Merci de ce chemin ouvert où il m’appelle à marcher.

Mais pour toutes ces prières, il me faut retrouver celui que faute de mieux jusqu’à maintenant j’ai appelé Dieu, dont la présence et même la réalité me demeurent incertaines, et que je n’arrête pas de perdre ou d’oublier. Il me faut creuser au fond de moi pour rejoindre ce (ou celui) que je ressens comme une force, une source, une lumière, enfouie, refoulée, étouffée. En moi mystérieusement je retrouve le lien qui m’unit à la fois à ce que j’appelle Dieu et à la création entière.

J’ai besoin de vide et de silence

Ce recul loin de la surface des choses permet déjà de relativiser ce que je vis, les rôles que je joue, les idées toutes faites que je prends pour des vérités. Je peux alors voir, entendre, déchiffrer la trace de ce Dieu caché dans ma vie de chaque jour, et ainsi changer mon regard sur tout ce qui m’entoure.

Mais pour qu’en moi cette ouverture intérieure soit possible, j’ai besoin de vide et de silence.

Seuls ils peuvent creuser l’espace où le souffle de Dieu peut passer. Plus vaste est cet espace, plus profond est ce vide, mieux le vent peut souffler, balayer la poussière, élargir l’horizon. Alors comment arrêter dans ma tête malade ce grouillement de bavardages sans fin, de vieilles idées qui traînent, de soucis qui me rongent ?

Parfois il m’arrive de trouver des plages de silence, souvent dans la nature, juste quelques bruits de vagues ou d’oiseaux, ou quelques grondements lointains, des bruissements de feuillage dans le vent, des tintements légers de ruisseaux qui chantent. Si la nature pouvait entrer en moi et y creuser un vide, si je pouvais ainsi m’ouvrir vraiment à ce qui me dépasse ? Pour s’approcher du silence, les sons de la nature, comme certaines musiques, peuvent ouvrir en moi cet au-delà de moi. D’une façon générale je crois que la beauté a le pouvoir de ramener à soi-même, à la source, à l’essentiel, à l’ultime, et permet d’entrer en prière. Dans la laideur et la violence, je dois me réfugier dans l’ombre, m’introvertir pour rencontrer quand même celui dont je veux retrouver la présence et le souffle.

Et la prière communautaire ?

Ce qui précède semble écarter toute prière communautaire. Pourtant certains textes partagés, anciens ou nouveaux, certains cantiques aussi, peuvent creuser en moi l’espace de rencontre où je retrouve le souffle de Dieu, avec souvent un phénomène de contagion, un lien mystérieux qui se crée, une communion de recueillement. La prière, ouverture au souffle de Dieu, me révèle à la fois le lien qui m’unit aux autres et à la création. Mais a-t-elle en elle-même une quelconque efficacité ? Est-elle un acte magique ? Anime-t-elle en nous une force de vie qui passe de l’un à l’autre ? Je ne saurais l’affirmer.

 

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À propos Jacques Juillard

est pasteur de l’Église protestante unie de France, en retraite, mais en addiction persistante à creuser l’insondable. Prix Évangile et Liberté 2011.

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