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Le Père de Nafi, de Mamadou Dia

 

Pour son premier long métrage, en langue peule, Mamadou Dia nous emmène dans une petite ville du nord du Sénégal. Deux frères, Tierno et Ousmane, s’opposent à propos du mariage de leurs enfants. Les jeunes gens sont heureux de se marier et espèrent partir à Dakar réaliser leurs rêves : étudier les neurosciences, pour Nafi, la jeune fille, et intégrer une école de danse pour Tokara, le jeune homme. Voilà que leurs pères s’affrontent, et à travers eux, deux visions du monde et surtout deux visions de l’islam. Tierno, imam de tradition soufie, fait régner la concorde en défendant un islam ouvert, tempéré par les traditions animistes. Ousmane, parti étudier en Europe, a été rattrapé par le djihadisme radical. Il revient avec le but de prendre le pouvoir dans la ville, en briguant le poste de maire, tout en faisant régner un totalitarisme religieux. Il est soutenu par un groupe de fondamentalistes et manipule la communauté civile et religieuse par l’argent. Cette rivalité fera éclater la structure familiale.

Tout en étant complexe, car il nous fait entrer dans ce qui se passe actuellement dans une partie de l’Afrique, c’est un premier film d’une grande maturité. Le jury de l’Auditoire ne s’y est pas trompé, en décernant son prix 2022 à ce réalisateur prometteur. Ce film offre des images fortes et sensibles, tout en ellipses, d’une grande beauté, dans une lenteur mesurée qui fait appel à l’intelligence du spectateur. On pourrait être tenté de déchiffrer ce film avec nos codes occidentaux, mais nous sommes invités à nous immerger dans une belle et riche poésie africaine, en finesse et en profondeur, sans aucun voyeurisme. Ce film nous enseigne à ne pas juger trop hâtivement et négativement l’islam. Mais c’est aussi une tragédie, car la violence finit par aveugler et se retourner contre ceux qui la promeuvent, tout en ayant fauché un innocent qui voulait aimer et danser. Malgré les apparences, c’est une histoire d’amour, d’abord entre les enfants Nafi et Tokara, symbolisée entre autres, par un bracelet échangé entre eux, déchiqueté par Ousmane, patiemment recollé par Tokara ; une histoire d’amour aussi entre Tierno et son épouse, dévoilée à la fin par un geste délicat d’une grande pudeur, mais également entre les deux frères, dont l’affrontement révèle un manque immense, celui de l’amour paternel, chacun croyant que l’autre était le préféré de leur père. Il faut saluer avec un immense respect la présence des femmes, de toutes les générations, belles et discrètes, dignes et résistantes. Reste la dernière image du film, interrogative : un petit garçon du village qui pourtant a vu les humiliations perpétrées par Ousmane, continue de le chercher, en criant désespérément son nom.

 

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À propos Agnès Adeline

est pasteure de l’Église protestante unie de France à Paris (Oratoire), et aumônier à la Maison d’arrêt de Paris la Santé

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