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À quoi bon commémorer la Saint- Barthélemy ?

 

Cléro-Mazire BéatriceCommémorer un massacre vieux de 450 ans n’est pas évident, surtout en contexte protestant, et va moins de soi encore dans une pensée théologique libérale. La Saint Barthélemy, retenue par l’histoire sous le nom du saint apôtre fêté le 24 août : Barthélemy, patron des bouchers, tanneurs ou gantiers, parce que son martyre fut d’être écorché vif, porte bien son nom. De l’avis général, ce fut une boucherie. Alors, pourquoi chaque année, une paroisse libérale comme l’Oratoire du Louvre fait-elle mémoire de cet épisode historique, allant chanter la gloire de Dieu devant le monument érigé à la mémoire d’une des victimes de ce massacre : l’amiral Gaspard de Coligny ? On criera à l’idolâtrie, ou à l’identitarisme protestant, et, pour les plus modérés, à l’anachronisme. Cette année, c’est aussi au musée du Désert, lieu de mémoire protestante s’il en est, que l’on se souvient de ce triste anniversaire.

Gaspard de Coligny, sur le corps duquel ses ennemis firent preuve d’un acharnement qui n’a peut-être comme seul équivalent celui dont usèrent les bourreaux d’État sur le corps de Jean Calas, a de quoi nous guider sur la ligne de crête de la commémoration d’un tel événement quand il dit : « J’oublierai bien volontiers toutes choses qui ne toucheront que mon particulier, soit d’injures et d’outrages, pourvu qu’en ce qui touche la gloire de Dieu et le repos public, il puisse y avoir sûreté ». Car c’est à la jonction entre « la gloire de Dieu » et « le repos public » que se situe la position théologique libérale. En effet, il ne s’agit pas ici de justifier la victimisation des protestants comme s’ils étaient toujours menacés dans l’État de droit qui est le nôtre ; il ne s’agit pas non plus de réactiver les guerres qui opposèrent les catholiques aux protestants : la crise théologique et politique actuelle ne se situe pas au même endroit qu’en 1572.

Alors de quoi s’agit-il ? Sans doute de se souvenir que les « religions d’autorité », comme les nommait le théologien Paul Sabatier, agissent sur un modèle qui sied tout aussi bien au pouvoir politique qu’aux confessions religieuses et que, en matière de pouvoir et d’autorité, on n’en a jamais fini de devoir mettre en question ce qui semble trop souvent aller de soi. La force et l’autorité mal comprises sont toujours d’actualité dans toute société humaine et si les tenants simplistes des politiques autoritaires, qu’elles soient civiles ou religieuses (et rappelons-nous que dans certains États les deux sont indissociables), peuvent reprendre à leur compte ces propos d’Augustin d’Hippone : « il ne faut pas regarder si l’on force, mais à quoi l’on force, c’est-à-dire, si c’est au bien ou au mal. Ce n’est pas que personne devienne bon par la force : mais la crainte de ce qu’on ne veut point souffrir fait ouvrir les yeux à la vérité ». (Lettre XCIII), cela nous engage à affirmer avec Pierre Bayle :« Et moi je dis à mes lecteurs (…) qu’il ne faut pas regarder à quoi l’on force en cas de religion ; mais si l’on force, et que dès là que l’on force, on fait une très vilaine action et très opposée au génie de toute religion et spécialement de l’Évangile ».

Les commémorations peuvent devenir des symboles très utiles au bien commun quand elles nous poussent à nous engager au présent pour la liberté et la paix. Le couteau de Saint Barthélemy peut symboliser la violence des hommes ou bien le tranchant de leur capacité d’analyse, gageons que la mémoire des massacres nous aidera à toujours défendre l’intelligence contre la violence.

 

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À propos Béatrice Cléro-Mazire

est pasteure de l’Église protestante unie de France à Paris - Oratoire du Louvre

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