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L’astrophysique au service de la théologie de la croix

 

Est-il légitime pour un astrophysicien de parler de théologie ? Nombreux sont ceux qui, s’appuyant sur une compétence qu’ils possèdent dans un domaine particulier des sciences, ont cru pouvoir énoncer de grandes vérités au sujet de Dieu. Plusieurs astrophysiciens s’y sont cassé les dents. Mais il est parfois nécessaire de faire des mises au point.

En 2021 est paru le livre Dieu – La science Les preuves (M.-Y. Bolloré, O. Bonnassies, G. Trédaniel éd.). Les auteurs de ce livre laissent entendre que les découvertes récentes de la science démontreraient l’existence de Dieu, ou du moins que de plus en plus de scientifiques seraient croyants. Nous voyons ressurgir la théologie naturelle si répandue au Moyen-Âge, déjà dénoncée par les livres de Job et de l’Ecclésiaste en leur temps. Or, la science ne peut ni prouver l’existence de Dieu ni confirmer son inexistence, car elle se joue sur un plan différent qui n’est pas celui de la foi. D’ailleurs, comme le dit si bien Paul Tillich, Dieu « n’existe pas », il « est » (Systematic Theology, 1951, vol. 1, p. 205). En discutant avec les astrophysiciens, on observe que la majorité de ceux qui se déclarent athées rejettent en réalité des définitions simplistes et idolâtriques de Dieu, malheureusement trop souvent véhiculées.

Si l’astrophysique n’est d’aucune aide pour apporter des preuves théologiques, elle permet de réactualiser des questions fondamentales que philosophes et théologiens se posent depuis toujours. Là où une certaine science positiviste a pu laisser croire que l’homme allait tout résoudre par lui-même, les découvertes d’aujourd’hui ne font que renforcer notre sentiment de finitude dans l’immensité de l’Univers. Mieux encore, la Parole de la croix de l’apôtre Paul, reprise par les Réformateurs dans la théologie de la croix, s’éclaire d’un jour nouveau et prend toute sa puissance quand on regarde l’Univers. Le paradoxe de la foi chrétienne consiste à proposer un Dieu qui montre sa puissance quand il s’abaisse dans la faiblesse de l’homme. Je prendrai donc trois exemples pour illustrer l’articulation entre la théologie de la croix et les résultats de la science. Le premier interroge notre mesure du temps avec la question de l’espace-temps à proximité des trous noirs. Le deuxième, traitant de la possibilité de la finitude cosmologique du temps absolu, interroge la notion d’éternité. Enfin, le troisième exemple, au sujet de la possibilité de la vie ailleurs, interroge la notion même d’incarnation du Logos dans l’Univers.

Les trous noirs et la résurrection

Les trous noirs sont des objets étranges parce que la lumière qui y entre ne peut pas en ressortir. Ils posent des questions essentielles sur notre perception du temps et de l’espace. En effet, quelqu’un qui tomberait dans un trou noir verrait sa coordonnée de temps devenir une coordonnée de type espace et la coordonnée spatiale qui l’emporte deviendrait de type temps. Comme il s’agit d’une description théorique, dont aucun de nous n’a fait l’expérience, on ne dit pas que l’espace devient temps mais simplement que ce qui était de type espace devient de type temps.

La relativité générale nous dit que chacun a sa propre horloge pour mesurer le temps dans son référentiel. L’observateur éloigné du trou noir verrait l’image du téméraire individu qui se risquerait à entrer dans le trou noir se figer sur son horizon. Il le verrait tomber infiniment lentement. Cette conséquence rappelle que lorsque l’horloge ralentit jusqu’à s’arrêter, le temps qu’elle mesure s’allonge indéfiniment. Cet instant final devient éternité. Il me plaît à penser qu’au moment de mourir mon horloge ralentira pour s’arrêter et que dans cet instant infini, tout est possible.

Un jour, un collègue m’a demandé : « Pourquoi Dieu a-t-il créé les trous noirs, images de la mort, lui le Dieu de la vie ? » Interloqué, je n’ai pu donner ma réponse que le lendemain : « puisque l’on peut extraire de l’énergie d’un trou noir avec les jets de matière que nous étudions, c’est sans doute que Dieu nous montre là un symbole de la résurrection. » La science peut devenir parabole, mais elle ne constitue pas une preuve.

La cosmologie, le temps et l’éternité

La cosmologie interroge aussi la notion de temps à l’échelle de l’Univers. Il serait naïf de croire que la théorie du Big Bang donne une origine à la Création. Plus on s’approche du temps initial, plus la matière est dense, jusqu’à atteindre une densité où il faudrait, pour pouvoir modéliser le système, combiner la relativité générale à la mécanique quantique. Or, ces deux théories ne sont pas compatibles et nous peinons à les réconcilier. Aujourd’hui, il n’est pas possible de dire ce qu’il y a avant cet instant, dit temps de Planck, et nul ne peut dire si même il y a encore un temps.

À l’autre bout de l’échelle temporelle, l’idée de la mort thermique de l’Univers n’est plus à l’ordre du jour, car l’Univers n’est pas un gaz où la température deviendrait uniforme. Néanmoins, les particules qui constituent l’Univers ont peut-être une durée de vie finie. Si c’est le cas, le destin de l’Univers est de finir rempli de trous noirs, mais alors il n’y a plus de mesure de temps possible s’il n’y a plus d’horloge. Nous savions déjà que notre propre planète avait une durée de vie limitée, mais là nous sommes confrontés à la possible finitude de l’Univers entier… Le temps ne serait-il pas, comme le reste de la Création, soumis à la finitude ? Il est alors urgent de penser l’éternité non pas comme « durer toujours », mais plutôt comme « être hors du temps ».

Les exoplanètes et la Bonne Nouvelle

Enfin, depuis les années 1990, plusieurs milliers de planètes ont été découvertes en dehors de notre système solaire. Pour l’instant, nous ne pouvons les détecter que dans notre galaxie, or le nombre de galaxies observées est immense, sans compter celles qui sont au-delà de notre horizon observable. Penser que nous sommes seuls à réfléchir dans l’Univers semble illusoire et prétentieux. Il doit y avoir d’autres êtres capables de s’interroger sur le sens à donner à la vie.

Que signifie dans ce cadre professer Christ, le Fils Unique ? Quel sens faut-il donner à l’événement de l’incarnation de la Parole ? Il est vrai qu’Isaac, le fils d’Abraham, son Unique, n’était pas son seul fils. Or, même si la venue du Christ est un événement unique, la foi nous dit que la Parole doit trouver d’autres moyens d’entrer dans l’Histoire ailleurs dans l’Univers, et surtout sur des planètes avec lesquelles nous ne communiquerons jamais.

Comment annoncer l’Évangile ? Peut-on douter que Dieu ne se débrouillera pas sans nous ? Cette perspective de la vie ailleurs renforce notre humilité : nous n’avons pas le monopole de la Parole. Quel est alors le sens à donner à la pratique missionnaire à laquelle le chrétien est appelé ?

Conclusion

La théologie de la croix professe que Dieu est présent pour nous dans la faiblesse et non dans sa gloire inaccessible. L’immensité de l’Univers, la possibilité même de sa finitude, la difficulté à comprendre des notions aussi simples que le temps et l’espace, et enfin l’idée même qu’il y ait ailleurs d’autres intelligences que nous ne connaîtrons jamais, renforcent ce sentiment de faiblesse de l’être humain. Faut-il nécessairement donner un sens à une Création qui serait finie, peuplée d’êtres qui ne peuvent même pas communiquer entre eux ? Plus l’Univers est vaste, vide et incompréhensible, plus il peut sembler désespérant. Et pourtant, c’est cette idée même de dépassement et de temps qui nous échappe qui nous montre que nous sommes reliés à l’infini. La capacité d’appréhender cette transcendance qui est source de vie nous est donnée. Sous le signe de la croix, Dieu est là. Transformer notre vision scientifique en une Bonne Nouvelle qui nous relève et nous aide à répondre aux questions ultimes est nécessairement un acte de foi qui ne se démontre pas, surtout quand cette Nouvelle, l’événement de la croix, est un « scandale pour les Juifs et une folie pour les Grecs » (1Co 1,23). L’astrophysique ne prouve rien, mais apporte seulement un autre éclairage. Ses résultats pourraient aussi venir à l’appui de n’importe quelle autre confession de foi, y compris à l’appui d’une vision nihiliste du monde. Cela aussi, il nous faut l’accepter.

 

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À propos Christophe Sauty

ancien élève de l’École Normale Supérieure de Lyon, agrégé, docteur et habilité à diriger des recherches, est professeur d’astrophysique à l’Observatoire de Paris et étudiant en licence de théologie à l’IPT. Ses recherches portent sur l’accrétion et les jets autour des étoiles jeunes et des trous noirs.

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