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Repenser la robe pastorale

 

Enfant, je n’accordais aucune importance aux vêtements. Puis, j’ai grandi, en Belgique, dans une famille d’origine italienne où l’on m’a fait comprendre, à la pré-adolescence, que je devais me maquiller – pour me différencier – et être toujours apprêtée, quelles que soient les circonstances, l’allure étant une marque de respect et pour soi et pour l’autre. On me complimentait lorsque je suivais ces « consignes ». À l’adolescence, j’étais dans un lycée « bourgeois » alors que je venais d’un milieu modeste. Un jour, un ami lycéen du même milieu social que moi m’a fait observer que la manière assez relâchée et peu « féminine » dont je me comportais, ainsi que mes vêtements plutôt « street » étaient problématiques. Alors, pour m’intégrer, je me suis efforcée d’être plus féminine dans mon comportement et dans mes vêtements. C’est alors que les garçons du quartier ont totalement changé d’attitude à mon égard, passant de l’ironie à la drague lourde (de l’indifférence au marivaudage pour les garçons du lycée). Et lorsque je suis arrivée en tailleur jupe sexy-chic à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, le regard perplexe et désapprobateur des « nerds » théologiens me fit comprendre, qu’à leurs yeux, on ne pouvait être crédible en tant que théologienne en étant soignée, maquillée et apprêtée.

 « Dieu t’utilisera comme tu es. »

Il se trouve que mon parcours fait que j’ai voyagé entre plusieurs cultures et plusieurs classes sociales, avec à l’esprit la Névrose des classes (de Vincent de Gaulejac, 1987), étudié au lycée, qui m’a fait considérer le vêtement comme l’expression d’une catégorie sociale, mais aussi comme un moyen « politique » de faire évoluer les codes de la société. Lorsque j’ai commencé à travailler dans les Églises protestantes, j’ai dû subir des remarques du style « tu ne dois pas être trop sexy sinon les gens ne vont pas écouter ». J’ai alors repensé à la phrase de mon pasteur de Seraing, lorsque j’avais 17 ans : après avoir passé une journée d’observation auprès de lui, chaussée de très hautes bottes grises à talons sur lesquelles étaient brodées des fleurs, avec un t-shirt décolleté, une multitude de bracelets et de très longs cheveux, je lui dis : « Regarde comme je suis, je ne peux pas être pasteure avec ce style !» Sa réponse fut extrêmement rassurante pour moi et me conforta dans ma vocation : « Dieu t’utilisera comme tu es. »

Lorsque j’ai commencé à prêcher, je me suis posé la question du vêtement et de l’apparence. En tant que pasteure, quelle image ai-je envie de donner ? Si mes idées anticonformistes et artistiques (parallèlement à la théologie, j’ai fait des études de comédienne) renforçaient mon envie de « casser les codes », je savais fort bien que je serais souvent jugée sur l’apparence. Au théâtre, lorsque l’on met son costume, on apprend à marcher, à« être » avec son costume. Dans la paroisse ÉPUB où j’ai grandi, le pasteur ne portait pas la robe pastorale. Lors de ma première suffragance pastorale, j’ai beaucoup réfléchi à mes tenues vestimentaires, pas seulement parce que dans ma famille italienne « bien se vêtir était une marque de respect de soi et des autres », mais aussi parce que j’avais besoin de ces tenues pour me sentir à l’aise. Les années 50 étant mon époque vestimentaire préférée, je m’en suis inspirée, appréciant l’image que ces tenues dégageaient : c’était assez pratique en tant que pasteure, puisque les jupes étaient toujours en dessous du genou, avec de beaux chemisiers blancs. Mettre ces tenues me donnait de l’assurance. Par ailleurs, la robe pastorale classique me posait problème : j’avais l’impression, dans cette sorte de robe droite large, de ressembler à une petite fille (je mesure 1,58 m) dans un sac-poubelle noir, qui m’empêchait de prendre une « posture » pastorale. À ce sujet, en discutant avec une amie psychologue, cette dernière m’a fait remarquer qu’en refusant de porter cette robe traditionnelle dans laquelle je me sentais minuscule, je refusais d’être décrédibilisée dans mon ministère. Je me suis alors à nouveau posé cette question : quel rôle (et donc quel habit) endosser entre ce que je crois que je suis, ce que les gens pensent que je suis, ce que l’Église veut que je sois, et ce que je crois que Dieu veut que je sois ? Comment concilier tous ces éléments pour être globalement une « bonne » pasteure ? Ces questions de robes pastorales furent également débattues lors de mon vicariat en Alsace, avec mon maître de stage, Philippe François, pasteur expérimenté : la porter ? ne pas la porter ? ne la porter qu’en certaines circonstances ? Et puis, un jour, en présence de sa compagne Virginie Faux, costumière-restauratrice qui était en pleine réflexion à ce sujet, fut évoquée la possibilité de la transformer. Je passai alors commande d’une robe pastorale « alternative » et le fruit de cette rencontre avec Virginie fut la confection d’une magnifique robe inspirée d’un modèle Vogue de 1951, en bengaline (soie et coton), corsage ajusté, manches 3⁄4, taille marquée, jupe ample et qui peut se porter à la manière d’une robe de tous les jours.

 Appliquer ma compréhension de l’Évangile à tous les aspects de mon ministère

Le 18 octobre 2021, j’ai eu la joie d’être ordonnée (avec six de mes collègues) pasteure UEPAL lors d’un long culte solennel. À cette occasion, France 3 Alsace décida de faire un reportage de 2 minutes, en partie consacré à cette robe pastorale « féminine », avec comme résultat sa médiatisation instantanée ce qui fit que d’autres grands médias s’y intéressèrent par la suite ainsi qu’aux autres robes pastorales alternatives créées par Virginie Faux, la marque F.Pastoral acquérant ainsi une certaine notoriété. Cela créa des débats dans mon Église. Certains collègues masculins se permirent, via les réseaux sociaux, des remarques du genre (et de genre) : « on verra si dans 10 ans tu rentres encore dans ta robe » ou « elle se la joue comédienne », etc. Subitement l’habit pastoral, qui jusqu’à lors semblait n’intéresser personne, était devenu « tendance ». J’avais simplement voulu dire aux collègues femmes : « regardez, vous pouvez faire un modèle de robe pastorale adapté à votre personnalité et à votre physique ». Ma robe n’était pas proposée comme « modèle type » de robe pastorale, mais comme un modèle adapté à ma personnalité et à mon physique, en sachant que n’importe quel collègue, homme ou femme, peut passer commande d’une robe personnalisée (ou non) auprès de quelqu’un comme Virginie Faux. Personnellement, je n’ai jamais voulu imposer ou remettre en question quoi que ce soit ; j’ai simplement voulu appliquer ma compréhension de l’Évangile à tous les aspects de mon ministère au féminin. Il y a aujourd’hui, et c’est vrai de toutes les Églises protestantes, plusieurs types de pasteurs et de pasteures. Traditionnellement depuis le XVIe siècle, l’habit pastoral est le même pour tous (des hommes, jusqu’au milieu du siècle dernier) et permet « d’effacer » le corps. L’arrivée au sein du corps pastoral luthéro-réformé de nombreuses femmes modifie en profondeur les pratiques pastorales. La robe pastorale n’est pas « sacrée ». Adapter la robe pastorale au corps féminin est une expression de cette prise en compte légitime de la diversification des ministères. À titre personnel, je considère que nous les femmes avons le droit d’être au minimum à l’aise, voire élégantes, en tant que pasteures. Je crois qu’il est plus que temps de renvoyer une autre image de l’Église, une image d’ouverture, de dynamisme, en revêtant un habit qui met en valeur la ou le pasteur, qui renvoie une image positive et valorisante de celui-ci. La jeunesse et le monde n’ont pas besoin d’une Église figée et poussiéreuse et c’est pourtant in fine l’image que renvoie la robe traditionnelle. L’adaptation de la robe pastorale bouleverse car aujourd’hui les femmes n’ont plus besoin d’emprunter la posture de l’homme pasteur pour être pasteure. Et d’ailleurs, qui porte encore des habits d’un autre siècle, à part les ecclésiastiques et les comédiens ? La profession évolue, et la remise en question est permanente. Ce qui est figé meurt et c’est dans le mouvement que se trouve la vie. Ecclesia reformata semper reformenda, la Réforme toujours à réformer.

 

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À propos Débora Mistretta

est pasteure de la paroisse de Boofzheim, dans la région du Ried (Alsace). Elle a eu l’occasion d’étudier le théâtre au conservatoire de Strasbourg. Aujourd’hui elle met à profit cette passion pour le théâtre et ces compétences au sein de l’Église, par sa participation en tant que metteur en scène dans la compagnie des particules qu’elle a créée en 2016.

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