Don’t look up évoque le fait de ne pas voir dans le ciel la comète qui entrera, dans un délai de six mois, en collision fatale avec la terre. Le film de Netflix se comprend comme une métaphore du déni de l’humanité quant aux conséquences de l’inaction écologique. Il se peut aussi que, à son corps défendant, le film vienne nous rappeler à quel point nous avons besoin de l’idée de fin du monde (donc de finalité) pour nous rappeler à notre vulnérabilité et à notre soif de réconciliation avec le monde.
Nous avions tout
Dans Don’t look up l’annonce de la destruction finale est passée à la moulinette des préoccupations et des fantasmes des instances humaines, qu’elles soient politiques, médiatiques ou économiques. Aucune d’entre elles n’arrive à assumer le fait que la fin est proche, prévisible, irrémédiable. Si les commentaires sur l’analogie avec l’urgence écologique et les alertes scientifiques affluent, rares sont ceux qui se penchent sur les derniers instants de la famille qui attend la fin autour d’un dernier repas, dans la prière. Quelques secondes avant la conflagration, le protagoniste rappelle, après avoir parlé de son quotidien et de son café à moudre, « qu’ils avaient tout », pour finir par ne plus rien avoir, puis disparaître dans un ralenti esthétisant de la conflagration. Ainsi, le récit ne se résout pas dans le fait de voir la réalité en face (la fin prochaine du monde si on ne fait rien) mais de ne pas voir que « nous avions tout ». Et lorsqu’il s’agit de ne pas regarder en haut, ce n’est pas forcément de ne pas voir la comète dans toute sa capacité de destruction, mais surtout de ne plus chercher à voir au-delà de cette comète.
Culture pop et fin du monde
La comète arrive, comme l’urgence écologique, dans un trop-plein de sens, d’activités, de reprises, d’interprétations, d’interférences qui la noie et la replace à chaque fois dans la logique des besoins, de la consommation, des plaisirs et des commodités de la vie quotidienne. Il s’agit bien ici d’un déni cosmique, par son ampleur et son gigantisme astral, mais aussi par l’immensité de ce que l’humanité est devenue. La fin du monde, malgré son caractère objectif, n’entraîne rien d’autre qu’une ronde encore plus vivace et bariolée des tropismes médiatiques et collectifs, à l’image du triptyque du Jardin des délices de Bosch. La comète (la fin du monde) devient un sujet d’excitation parmi d’autres sans parvenir à faire l’unanimité.
Les films catastrophe abondent à un rythme soutenu dans la culture pop (sous plusieurs formes : crises des ressources et virus, catastrophes climatiques, etc.). Ils passionnent dans la mesure où les angoisses de la fin, diffuses, y sont exprimées avec force et sans nuances, et en cela ils sont même cathartiques. Ils rappellent que la continuité de notre monde tel qu’il est n’est pas garantie. Après la fin des idéologies liée au progrès, nous assistons à une sorte de passion triste (et paradoxalement divertissante) de l’effondrement. Chacun attend le point de bascule où nous n’aurons plus le choix, le manque de ressources nous rendra parcimonieux et partageurs, ou inaugurera la guerre de tous contre tous. Il y a ainsi, plus ou moins explicitement, dans les hypothèses de fin du monde, une réactivation des théories sur l’état de nature. Une fois dépouillé de son monde, ou à l’aune de tout perdre, l’homme sera-t-il bon et vertueux, sauvage, avide de plaisirs, contemplatif, clanique ?
La fin du monde réveille la volonté de nous redéfinir dans ce qu’il resterait de nous une fois dépouillés de tout, et surtout d’avenir, d’un socle stable pour que la vie puisse s’épanouir. Il semble donc que ce registre de l’effondrement ou du vacillement des fondements (cf. Quand les fondations vacillent de Paul Tillich) ait pour fonction de relancer avec insistance la réflexion sur notre place et sur notre rapport au monde.
La vulnérabilité en partage
Lors de ces appréhensions métaphoriques et narratives, corrélées à des enjeux bien réels, se met en scène un dévoilement de notre vulnérabilité et une possible réappropriation des complexités de la condition humaine. Ce recentrage sur notre fragilité nous rappelle que nous ne sommes pas si puissants que ça, même s’il est possible aujourd’hui de profondément porter atteinte à l’équilibre du vivant à l’échelle planétaire et d’envisager des colonies dans l’espace (mais pas avant d’avoir envoyé une Tesla en orbite). Les difficultés à prendre en charge les défis climatiques (donc une vision de la fin lente et multifactorielle) avec l’urgence requise ne viennent pas uniquement d’une incompétence généralisée ou du cynisme, mais plutôt d’un déni de toute vulnérabilité. La planète, à sa limite, se rappelle à nous dans toute sa mesure ; même les forêts à la taille d’un grand pays disparaissent et les neiges éternelles des pôles peuvent fondre. Ainsi, nous assistons en accéléré, à l’échelle d’une génération ou deux, à des transformations climatiques qui prenaient des centaines d’années.
Les restes du romantisme
Le romantisme s’était adossé aux récits de voyages vers des terres inconnues et à des imaginaires d’espaces peuplés de sociétés plus sages ou plus authentiques. Il cherchait un lien perdu avec le monde dans les sentiments, dans l’esthétique et la contemplation de la nature ou de civilisations disparues. Un goût pour le mystérieux et le fantastique, pour les grands exploits et pour ce qui est vaste caractérisait ce mouvement de l’art et de la pensée. L’expression de ces idéaux pressentait qu’une rationalité instrumentale devenait de plus en plus omniprésente pour le pire et le meilleur (cf. Les sources du moi de Charles Taylor). Il se peut que nous soyons restés des romantiques et que les récits de fin du monde y renvoient pour que le territoire redevienne vaste, inaccessible, risqué. Dans le rapetissement des imaginaires du monde à travers les photos et les commentaires de Google, nous avons aussi perdu une épaisseur intérieure, ce que l’idée de fin nous restitue partiellement. La pop culture et les films catastrophe sont des tentatives nostalgiques et romantiques d’une thérapie à grande échelle, une volonté de réconciliation entre nous et le monde et, par effet de miroir, avec notre vie intérieure.
Demander pardon pour le monde
Nous revenons à table avec les protagonistes du film Don’t look up ; dans la conscience que la fin est imminente, ils prient sans plus savoir comment faire, sauf une personne, la plus improbable de la famille constituée pour cette ultime occasion. Le moment tragicomique de la fin se résout par une prière dans une demande de pardon et dans l’acceptation de ce qui arrive. Dans cette prière de fin, il y a aussi quelque chose d’inaugural pour une vie nouvelle et réconciliée. Parce que la fin du monde, pour demain ou pour plus tard, sera toujours le signe d’un règne à venir, de justice et de paix, dans l’amour sans faille de Dieu.
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