Quelqu’un a dit : « Si votre jambe est cassée et que vous avez besoin d’une béquille pour vous déplacer, allez-vous dire « oh non, je ne m’en servirai pas parce que c’est une béquille. » Certaines personnes pourraient de même poser la question « Votre foi est-elle une béquille ? » eh bien je ne sais pas si c’est une béquille ou pas, mais tout ce que je sais c’est qu’elle m’a sauvée, et que grâce à elle je suis un meilleur être humain ».
La personne qui parle ici est, en 2014, le Révérend Rose Hudson Wilkin. Elle s’exprime dans un entretien à la BBC. Son histoire est celle d’une personne née en Jamaïque dans une famille modeste, et son ambition est, dit-elle, de « profiter de la vie ». Elle a été une des premières femmes ordonnées prêtres dans l’Église anglicane ; elle était en 2014, à l’époque de l’entretien, chargée d’une paroisse mais également aumônier du Parlement et aumônier honoraire de la Reine. Elle a été la première femme noire ordonnée évêque en 2019. Elle est maintenant évêque de Douvres, ce qui signifie qu’elle administre l’évêché de Canterbury dont l’évêque en titre est à la tête de l’Église anglicane. Son parcours est celui d’une indéniable réussite.
Elle n’a par ailleurs pas hésité à prendre des positions qui ont pu déplaire, comme lorsqu’elle a dit une prière au Parlement à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme. Elle a répondu à ceux qui refusent que des femmes deviennent évêques, « parce que Jésus n’a choisi que des hommes », que « Jésus a aussi choisi douze hommes juifs, alors ceux d’entre nous qui ne sommes pas juifs, pourquoi exercent-ils ce ministère ? » Elle a également dit au journal The Times, à propos du mariage entre deux personnes du même sexe, que l’église est obsédée par le sexe et qu’il y a bien d’autres questions plus importantes.
Rose Hudson Wilkin est donc une féministe, une progressiste, que beaucoup présenteraient comme une femme forte. Et pourtant, l’idée que sa foi serait une béquille, elle ne l’écarte pas.
« Vous êtes faible. »
Cette question « votre foi est-elle une béquille ? », nous la connaissons bien. C’est en fait le plus souvent une accusation, déguisée ou non, consciente ou non, et celui qui la pose est parfois compatissant, parfois sarcastique. Il faut plutôt comprendre « votre foi EST une béquille » et donc « vous êtes faible », « vous n’êtes ni courageux ni autonome ».
Courageux ? Autonome ?
Mais comment mesurer le courage ? Que savoir du courage d’un autre ? Le même acte posé ne coûte pas les mêmes efforts à chacun. Pourquoi alors, puisqu’on ne peut pas le mesurer ou en juger, le présenter comme une aune à laquelle on jauge les personnes ? Pourquoi en faire une vertu ? Faut-il par exemple admirer le suicide stoïcien ou trouver positive l’idéalisation de l’homme courageux, ou du surhomme ? Le courage est une valeur païenne qui n’a pas plus de sens pour le chrétien que je suis que le mérite. Ni l’un ni l’autre ne pèse face à la grâce qui nous est offerte.
Votre foi vous empêche d’être autonome ? L’amour vous empêche-t-il d’être autonome ? De la même façon que nous avons besoin des autres, nous avons besoin de ce Dieu qui est Autre, pour être nous-mêmes. S’il s’agit d’une béquille, alors et la foi et l’amour sont des béquilles.
Notre foi en Christ est-elle la preuve de notre faiblesse ? Paul (2 Corinthiens 12,9) dit : « Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a dit : Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses, pour Christ ; car, quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. »
« Nous sommes forts »
Dans un renversement qui peut rester incompréhensible pour ceux qui ne sont pas chrétiens, la puissance de notre Dieu s’accomplit dans la faiblesse, et le chrétien y puise sa force. Nous sommes faibles, mais nous sommes aussi forts, non parce que nous sommes courageux, autonomes, mais parce que nous sommes aimés par un Dieu qui se fait faible, et nous rend libres de lui faire confiance et de lui demander son appui. « L’Éternel est ma force et mon bouclier ; En lui mon cœur se confie, et je suis secouru ; J’ai de l’allégresse dans le cœur, Et je le loue par mes chants. » (Psaume 28) L’image de Dieu comme bouclier, en apparence plus noble que celle de la foi comme béquille, renvoie pourtant à la même réalité : nous ne pouvons nous suffire à nous-mêmes. Cette faiblesse, nous pouvons la reconnaître devant ce Dieu qui se fait faible : « Car nous n’avons pas un souverain sacrificateur qui ne puisse compatir à nos faiblesses ; au contraire, il a été tenté comme nous en toutes choses, sans commettre de péché. » (Hébreux, 4, 15) Ce bouleversement dans la conception du divin, qui est une des singularités du christianisme, au lieu de nous inquiéter, nous conforte dans notre relation avec Dieu et nous autorise à considérer comme vraie l’assurance de la sacralité de la personne humaine. Oui, nous sommes faibles, mais pas parce que nous plaçons notre confiance en Dieu. Oui, nous sommes forts, parce que Dieu se fait faible pour nous et nous sauve. Cette faiblesse qui est la nôtre, nous pouvons l’entendre dans les mots de Pierre à Jésus « Seigneur, à qui irions-nous ? ». (Jean, 6,68) Mais nous y entendons tout autant notre force et notre confiance en Dieu.
Notre foi est plus qu’une béquille, c’est la certitude de notre espérance.
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