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Être Idiot, et alors !

 

Qui ne se souvient avec émotion, si ce n’est avec tendresse, de la figure d’Aliocha dans Les Frères Karamazov, dont on apprend dans ses carnets que l’auteur avait pensé à l’appeler « l’Idiot » ? J’ai voulu relire ce monument de la littérature russe, après m’être plongée auparavant dans la lecture de L’Idiot, ouvrage du même Dostoïevski, qui conte la vie brisée du Prince Mychkine, surnommé l’Idiot par son entourage. Ainsi, par deux fois, Dostoïevski s’attache à la figure d’un homme qui ne trouve pas sa place dans la société, tantôt admiré pour sa franchise et sa bonté mais le plus souvent moqué cruellement pour ce que l’on appelle sa naïveté. Chaque fois cet homme refuse une vie dite normale par amour de la vérité et en paie le prix.

Dans L’Idiot, le Prince Mychkine revient en Russie marqué par la maladie, une grave dépression et une épilepsie pour lesquelles il a longtemps été soigné en Suisse : cet épisode fait qu’il est considéré comme anormal par ses concitoyens et anciennes connaissances. Malgré son cœur aimant et ses efforts pour ramener la concorde dans son entourage, il n’évite pas les catastrophes qui se succèdent autour de lui et il n’échappe pas à une fin misérable, l’esprit définitivement troublé.

Quant à Aliocha, le fils de la seconde femme de Fiodor Pavlovitch Karamazov, considérée comme une « possédée », c’est-à-dire une quasi folle, il porte pour sa part le poids d’une hérédité maladive. Privé très tôt de sa mère, délaissé par son père, il n’a pas connu la douceur d’un foyer et se réfugie au monastère. Avant de mourir, le starets du couvent, son père spirituel, lui enjoint de regagner le monde. Et comme Lev, le Prince, il se voit le plus souvent tourné en dérision pour sa chasteté, sa pureté et sa simplicité.

En mettant en scène ces deux personnages, Dostoïevski nous pose maintes questions d’importance. Quelles valeurs guident nos vies ? Que choisissons-nous de préférence, être ou paraître ? Avons-nous peur du regard des autres ? Sacrifions-nous parfois la vérité pour être mieux considéré ? Ne manquons-nous pas souvent d’humilité en méprisant ceux qui n’ont que peu de culture, peu d’argent ou peu de relations ? Savons-nous reconnaître les cœurs purs ?

Ne nous hâtons pas de qualifier quelqu’un d’idiot. Ce peut être un « fou du roi », le seul qui ose dire la vérité aux puissants, un Don Quichotte qui prend la défense des opprimés ou bien un poète (Baudelaire parle de la grande poésie qui serait essentiellement bête), ou encore… un saint.

Dostoïevski porte haut l’étendard des « Humiliés et Offensés », du nom d’un autre de ses livres : pêle-mêle il s’agit des enfants battus ou torturés, des femmes séduites puis abandonnées, des malades et handicapés, des pauvres et rejetés de toutes espèces.

Figures christiques, ces idiots et antihéros de Dostoïevski luttent à mains nues contre le mal qu’incarne une société repliée sur ses préjugés, son égoïsme et son orgueil. Ils sacrifient leur vie à l’inaccessible. Leur grandeur consiste à mettre au-dessus de tout l’authenticité, la bonté et l’humilité et quand ils disparaissent, acceptant d’avoir perdu leur vie à vue humaine, ils laissent derrière eux comme des traces de lumière.

Ces âmes simples et droites, nous les retrouvons dans l’œuvre de Vassili Grossman. Dans son livre Vie et destin il fait dire par l’un de ses personnages, plongé dans les horreurs de la période soviétique que, heureusement, il restera toujours « la petite bonté ».

La petite bonté, humble icône qui restera toujours à briller au cœur de quelques-uns.

 

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À propos Francine Serre

Francine.Serre@evangile-et-liberte.net'
est engagée dans l’Église protestante unie de France et propose régulièrement des contributions culturelles à notre mensuel.

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