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Le mal, source de questions classiques

C’est un problème théologique classique. Face à la double réalité du mal moral (la méchanceté) et du mal physique (la souffrance), deux options existent pour ceux qui croient en Dieu : si Dieu est juste, alors il n’est pas tout-puissant. Et s’il est tout-puissant, alors il n’est pas parfaitement juste.

Le problème remonte, si j’ose dire, à la nuit des temps puisqu’il est déjà présent dans le récit de la Genèse. Face aux récits mésopotamiens de la création du monde ou du Déluge, le texte de la Genèse insiste en effet sur le caractère juste, sage et miséricordieux de Dieu mais également sur sa toute-puissance créatrice. Pour les récits bibliques, le monde n’est pas le fruit d’une lutte entre les dieux, pas plus que le mal n’est le résultat du courroux d’une divinité agacée par des hommes troublant son repos. Si le mal existe dans le monde, le Dieu biblique ne saurait en être tenu pour responsable. Bien sûr, une telle lecture a l’avantage de la cohérence, surtout en regard d’un panthéon babylonien qui ressemble souvent au village d’Astérix, avec ses bagarres entre le poissonnier et le forgeron… Mais cette interprétation soulève aussi le terrible problème de la responsabilité du mal : si Dieu, tout-puissant et parfaitement juste, ne peut en être l’auteur, alors c’est à l’homme qu’il revient d’en porter la responsabilité. C’est cette question qui hante l’histoire d’Adam et Ève et qui va tarauder toute l’histoire du christianisme, comme le montre avec brio Stephen Greenblatt dans son livre, Adam et Ève, l’histoire sans fin de nos origines (2017).

À certains égards, saint Augustin ne fit que renforcer la difficulté : confronté aux thèses des manichéens, selon lesquelles il existerait dans le monde un bon et un Le mal, source de questions classiques  repères mauvais principe (ce dernier étant l’auteur du monde), l’évêque d’Hippone rapporte tout ce qui existe au seul dieu biblique. Ce faisant, le Père de l’Église entendait sauver l’ordre du monde en le soustrayant au dieu du chaos pour faire du dieu chrétien le principe unique de toute chose. C’est ce qui le conduit à voir en l’homme la cause principale du mal et à tant insister sur le péché originel. Toute la théologie du Moyen Âge peut être lue comme une tentative de concilier à nouveaux frais cette double réalité : toute-puissance et parfaite justice de Dieu. Mais le problème était maintenant redoublé par la doctrine augustinienne du péché : comment envisager que l’homme puisse faire son salut alors que tout dépendait de Dieu ? C’est dans ce contexte théologique complexe qu’il faut situer la théologie de la grâce de Luther : en radicalisant encore un peu plus la doctrine d’Augustin, le Réformateur entendait rassurer les chrétiens. Si tout dépend de Dieu, alors la seule réponse possible est celle de la confiance en Dieu et de l’engagement serein dans un monde voulu par Dieu – et ce, malgré l’existence du mal.

Bien sûr, le problème théorique n’était pas résolu pour autant. Et en somme, il ne saurait l’être. Les théologiens qui ont tenté de repenser Dieu après Auschwitz le soulignent : face au mal absolu, il faut sans doute rabattre un peu de la toute-puissance de Dieu si l’on tient à sauver sa justice et ce qui la fonde : son amour. Voir en Dieu un dieu qui, parfois, n’est pas tout-puissant permet en effet de le décrire avant tout comme présent à nos côtés, dans la joie comme dans la peine – par amour. Si Dieu est bien ce Dieu insoumis qui, la plupart du temps, nous échappe, il est aussi ce Dieu qui se montre souvent bien plus proche de nous que nous ne le croyons

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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