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Porter du fruit malgré les épreuves Gn 41,50-52

Conjuguer mémoire et avenir encombre nos vies personnelles et collectives. Pleine de rebondissements et d’émo­tion, depuis la jalousie de plusieurs frères jusqu’à leur réconciliation, l’histoire de Joseph se saisit de cette difficulté qui articule blessure et pardon ; elle la noue notamment autour des noms que le héros donne à ses deux fils nés en Égypte.

Oubli et fécondité

Le nom du premier, Manassé (Menasheh), vient du verbe hébreu nashah, « oublier », « priver ». En le nommant « Oubli », Joseph indique que, s’il a souffert, il désire tourner la page. Désir légitime mais ambigu, car peut-on vraiment oublier quand on a vécu quelque chose de difficile ? Paradoxalement, ce nom rappel­lera sans cesse ce que l’on veut effacer, comme dans la chanson écrite par Gainsbourg : « Souviens-toi de m’oublier » ! Il ne s’agit pas ici de provoquer une amné­sie mais de déposer le passé dans la mémoire, de l’y maintenir pour le dépasser, dans le sens d’une amnistie qui détache d’hier pour ouvrir un lendemain.

C’est la perspective qu’offre le nom du cadet, Ephraïm, qui vient du mot Ephraath ou Ephrathah, « lieu de la fécondité », lui-même construit sur la racine parah, « porter du fruit », « être fructueux ». C’est le même verbe, parah, que l’on trouve au début de la Genèse quand Dieu bénit l’homme et la femme en leur disant : « Soyez féconds » ; nommer son deuxième fils « Fécondité » est pour Joseph comme une nouvelle création.

De Manassé et Ephraïm vont naître deux tribus israélites qui resteront étroitement liées. Cette histoire ne sera pas exempte de conflits, notamment sur des questions de territoire, comme au temps de Gédéon, juge issu de la tribu de Manassé. Oubli et fécondité sont toujours liés mais souvent en tension, ils se disputent la place en nous.

Une bénédiction et une promesse

Manassé est l’aîné. Dans l’expérience humaine, c’est souvent le passé qui plombe l’avenir et on croit qu’il faut oublier pour pouvoir espérer. L’épisode de la bénédic­tion de Manassé et Ephraïm par leur grand-père Jacob (Genèse 48, 8-22) inverse ce rapport et ouvre une belle perspective. Alors que Joseph présente ses deux fils de manière à ce qu’ils soient bénis dans l’ordre, la main droite sur l’aîné et la gauche sur le cadet, le patriarche croise les mains et inverse les bénédictions. Malgré la protestation de Joseph, il bénit d’abord Ephraïm en disant : « Je sais, mon fils, je sais ; Manassé aussi devien­dra un peuple, lui aussi sera grand ; mais son frère cadet sera plus grand que lui, et sa descendance deviendra un ensemble de nations ». Ainsi Jacob place « Ephraïm avant Manassé », la fécondité avant l’oubli, l’espérance avant le détachement, l’avenir avant le passé. Et si cela nous indiquait que l’espérance est première, que c’est elle qui nous permet de nous détacher du passé qui nous plombe ? La grâce précède la repentance !

Lors du Yom Kippour, fête du grand pardon, les Juifs bénissent leurs enfants en reprenant les mots de Jacob : « Puisse l’Éternel faire que tu sois à l’image de Ephraïm et Manassé ». La rabbin Delphine Horvilleur le traduit ainsi : « Puisses-tu ne pas être obsédé par le passé, puisses-tu être capable d’exister hors de ton lieu d’origine, puisses-tu savoir que la vie existe même après la tragédie » (voir le site akademimg.akadem.org) ; ou encore : « Souviens-toi de ceux qui ont su oublier un peu. Souviens-toi de ceux qui ont su fleurir malgré les épreuves » (voir le site sur Mouvement Juif Libéral de France). Il s’agit de poser le passé à sa juste place (der­rière) pour avoir une vie qui porte fruit.

L’origine devant nous

Ephratah, d’où dérive le nom de Ephraïm, est le nom du lieu où Rachel, la mère de Joseph, a été ense­velie, c’est-à-dire le lieu où la mémoire est posée, les racines plantées, l’origine marquée. Ce lieu s’appelle aussi Bethléem. Là, des siècles plus tard, Marie mettra au monde Jésus ; là commencera une autre histoire, non pas portée vers le passé (la mère) mais tendue vers l’avenir (le fils). Notre origine est désormais devant nous : nous ne marchons plus le regard tourné en arrière, dans la nostalgie ou le remords, nous avançons dans l’espérance d’un Dieu qui rend nos vies fécondes. En sortant du tombeau, le Christ a ouvert un chemin nouveau ; il nous y entraîne pour qu’avec lui nous por­tions du fruit dans ce monde.

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À propos Christian Baccuet

est pasteur de l’Église protestante unie de France, actuellement en poste à Paris, paroisse de Pentemont-Luxembourg.

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